Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/577

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et la Gloire ; quatre autres sont sur les chantiers à divers degrés d’avancement. Elles ont une force qui varie de 900 à 1,000 chevaux, et sont destinées à porter de 36 à 40 canons de gros calibre. Les Anglais n’en ont que quatre, deux à flot, le Warrior et le Black-Prince, chacune de 6,000 tonneaux et de 1,250 chevaux de force et armées de 36 canons, deux autres de moindre force en construction. Dans les récriminations périodiques dont retentit la chambre des communes, ces frégates cuirassées figurent à titre d’épouvantail. Lord Paget s’en est prévalu dans un de ses discours pour agir sur la majorité, et quoiqu’il eût sous les yeux les états de notre marine, il ne s’en est pas tenu aux chiffres réels ; il les a grossis et nous a généreusement donné quatre frégates de plus. À ce sujet, une réflexion se présente. Si en effet ces frégates cuirassées sont de redoutables instrumens devant lesquels les vaisseaux sans armure n’auront plus qu’à baisser pavillon, d’où vient que l’amirauté anglaise n’en multiplie pas les exemplaires ? Elle est si attentive à tenir sur tous les autres points sa force au double de la nôtre, qu’il paraît étrange qu’elle se résigne, sur ce point capital, à des conditions d’infériorité. Elle n’a que quatre grands bâtimens pourvus d’un blindage en métal, nous en avons six ; cette manière de procéder est nouvelle, l’amirauté ne nous y a point habitués. Serait-ce qu’elle a des doutes sur les qualités nautiques de ces bâtimens, qu’elle veut savoir au juste ce qu’ils sont avant d’en entreprendre la construction sur une grande échelle ? L’expérience dans ce cas s’accomplirait à nos dépens ; on trouvera toujours le temps de nous copier, si elle réussit. Nos voisins sont coutumiers de ces emprunts, et quant à l’avance que nous aurons prise, ils ne sont point en souci de la regagner : le fer chez eux coûte moins que chez nous. Pour le moment, l’opinion n’est pas favorable en Angleterre aux armures de métal ; on croit que les plus puissantes céderont aux effets de la nouvelle artillerie. Des expériences faites à Portsmouth et à Shoeburyness ont paru concluantes ; les canons Armstrong et Witworth ont traversé à d’assez grandes distances des plaques de fer forgé de quatre à cinq pouces d’épaisseur. C’est contre la batterie flottante la Trusty que le tir était dirigé. Sur la vieille frégate le Briton, l’école de tir installée à bord de l’Excellent obtint les mêmes résultats contre des plaques de fonte de quatre pouces d’épaisseur. Non-seulement la plaque fut brisée au troisième boulet, mais on put remarquer l’effet de ses fragmens éparpillés en mitraille. L’armure, quand elle cède, crée ainsi un danger de plus.

Ce n’en est pas moins une curieuse épreuve que celle de ces bâtimens, bardés de fer comme les chevaliers d’autrefois, que ni les boulets creux ni les boulets pleins ordinaires ne pourront entamer, en supposant même que l’artillerie perfectionnée arrive à ce résultat.