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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/581

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l’esprit de méthode. Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un coup d’œil sur les détails de ce mouvement, qui nous a conduits au point où nous sommes.

Le premier obstacle à vaincre était l’intermittence des armemens. Autrefois, et il en était ainsi il y a trente années, toute escadre qui rentrait au port, après ses opérations terminées, était une force pour ainsi dire anéantie. Par une économie mal entendue, on en dispersait les élémens, on en brisait jusqu’aux cadres. Aucun des avantages d’une campagne en commun ne survivait au désarmement. Rien ne gardait, dans ces fluctuations du service, de consistance ni de durée ; on s’énervait en passant sans mesure ni règle de l’activité au repos. Les événemens imposaient-ils un autre effort, il fallait s’y reprendre à nouveaux frais, recommencer la tâche interrompue, reconstituer ces élémens dispersés, recomposer ces cadres. À bien compter, l’argent dépensé dans ces résurrections de la flotte excédait peut-être les économies que l’on avait pu faire en la condamnant à des intervalles d’oisiveté. Le profit, en tout cas, était mince, et la perte était grande ; on y sacrifiait l’instruction, la tradition, l’esprit de corps, tout ce qui naît d’une existence régulière, d’un exercice constant et du maintien de bonnes habitudes. C’était un régime funeste pour les hommes et pour les instrumens ; après bien des hésitations, on semble y avoir renoncé. La cause de la permanence des armemens est gagnée en partie du moins. On a le bon sens de garder une petite escadre d’évolution toujours en haleine, constamment disponible ; on a quelques équipages où la tradition se conserve et se transmet, des cadres dans lesquels l’apprentissage devient plus facile et le classement plus rapide ; on a un noyau d’officiers qui échappent aux langueurs d’un long séjour à terre et aux inconvéniens d’un métier trop souvent quitté ou repris ; on a enfin un service continu au lieu d’un service qui procède par alternatives. Si réduit que soit le nombre des vaisseaux armés, ce sont du moins des vaisseaux au complet de leurs forces, et non des bois flottans qui ne passeront de l’inertie à l’activité qu’au moyen de grandes dépenses de temps et d’argent. Le système n’a qu’un tort, c’est de ne pas s’étendre à la réserve.

Un autre point à mettre hors de question, c’était l’instruction spéciale en vue de services déterminés. L’enseignement des équipages avait naguère un caractère général, comme si tous les hommes eussent été appelés à tout faire, et dans des fonctions distinctes à se suppléer presque indistinctement. Cette variété d’instruction avait un grave inconvénient, c’est que les services n’arrivaient pas à leur dernier degré de perfection, faute d’être exclusivement dévolus aux mêmes hommes. Il est de vérité élémentaire qu’en dispersant l’effort,