Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/582

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on le rend moins intense, et qu’en le concentrant, on l’accroît. Il y a donc avantage à multiplier les corps doués d’aptitudes et investis d’attributions particulières ; c’est le principe de la division du travail appliqué à l’art militaire. On a pu en voir les bons effets dans l’armée de terre, où les corps spéciaux ont apporté un remarquable supplément de vigueur. Chaque détail ayant plus de valeur, l’ensemble en acquiert plus de puissance. L’exemple a entraîné la marine ; elle a fait dans ce sens des tentatives qui ont réussi. Des écoles spéciales ont été créées, où l’instruction est donnée à fond, où les recrues trouvent des cadres qui leur sont affectés. Telle est l’école des matelots-canonniers, qui a son siège sur un vaisseau constamment en cours d’exercice, quelquefois à l’ancre, le plus souvent à la voile. Cette école peut former mille sujets par an ; ils en sortent, après un examen, pourvus d’un brevet, et sont répartis sur les vaisseaux, où ils deviennent d’excellens chefs de pièce et font à leur tour des élèves. On ne saurait trop étendre cette utile institution. Le canonnage est par excellence et sera de plus en plus la base d’une bonne marine. Nos matelots à Trafalgar mettaient un intervalle de trois minutes entre chaque coup ; les Anglais tiraient au moins deux coups dans le même temps. L’amiral Lalande, au mouillage d’Ourlac, était arrivé, à force d’exercices, à obtenir de ses canonnière un tir d’un coup par minute, sans nuire à la précision. Tout ce qu’on fera dans le sens de la rapidité et de la justesse sera autant d’ajouté à la puissance de l’armement. Entre des flottes égales, l’avantage restera aux pièces les mieux servies.

L’école des fusiliers remplit le même objet. Le tir du mousquet a toujours été familier au marin ; mais jusqu’à ces derniers temps on s’en fiait plus à l’habileté individuelle qu’à l’instruction des hommes et à la qualité des armes. Nulle part pourtant un tir de précision n’est mieux approprié ni plus utile que dans ces combats où tous les officiers, depuis l’amiral jusqu’à l’enseigne, sont à découvert, et où les feux qui se croisent du pont et des hunes peuvent, autant que ceux des batteries, influer sur l’issue d’un engagement. L’école des fusiliers fournit cette instruction spéciale ; elle reproduit pour les équipages ce qu’a fait l’école de Vincennes pour les bataillons de chasseurs à pied : on y apprend à manier les armes perfectionnées qui frappent des coups sûrs à de grandes distances. L’institution n’en est encore qu’à ses débuts ; elle ne fournit que sept cents sujets par an ; elle en pourrait fournir mille qui répandraient dans la flotte de bonnes habitudes de tir. Le matelot s’y prête assez mal, il est vrai : son humeur mobile ne s’accommode pas de l’assujétissement qu’entraîne l’usage des nouvelles armes ; il répugne aux exercices fréquens, à l’attention soutenue, aux soins de détail, sans