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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/595

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pas non plus d’équivalent du master anglais. Notre maistrance, qui abonde en hommes de choix, n’en met point en relief qui ait, pour les fonctions, l’importance du master. À bord d’un vaisseau anglais, le master partage avec le commandant la responsabilité de la navigation ; il s’y prépare par des études sérieuses, des observations et des reconnaissances personnelles servies par une instruction nautique très développée. Toutes les côtes lui sont familières ; c’est à la fois un pilote et un officier ; on peut s’en reposer sur lui pour la conduite du bâtiment. Nos capitaines n’ont pas sous la main de pareils aides ; ils supportent seuls, avec les autres soins du commandement, la tâche de diriger la navigation. C’est beaucoup exiger des forces et de la responsabilité d’un homme ; le fardeau est lourd, il serait sage de l’alléger et d’étudier les moyens de relever, d’étendre même les fonctions des chefs de timonerie, pour en faire quelque chose d’analogue aux pilotes-majors d’autrefois. On n’aurait pas ainsi le master anglais, mais on tirerait du moins un meilleur parti de notre maistrance dans une branche déterminée.

De tous ces faits il y a plusieurs conclusions à tirer. C’est d’abord qu’en pénétrant dans les détails on reconnaît chez nos voisins un art vigilant, toujours sur ses gardes de peur de déchoir, plutôt en avant qu’en arrière de ce qui se fait ailleurs, et fortifiant par l’expérience ce que la tradition a consacré. Aucune révolution mécanique ne le trouve en défaut, ne le prend au dépourvu. On le croit vaincu ou affaibli quand la voile cède devant la vapeur ; il étudie la vapeur comme il avait étudié la voile, avec la ferme volonté de sortir intact de cette épreuve et d’y garder son rang. Une autre révolution éclate dans l’artillerie. Le boulet creux, le boulet sphérique ne suffisent plus comme moyens de destruction, le canon lisse est condamné comme sujet à des défectuosités de tir ; de là des boulets coniques, des boulets à ailettes glissant dans des rainures savantes qui préservent le projectile des déviations et le portent à de plus grandes distances. L’art naval chez nos voisins s’émeut de ces inventions ; il sent à quel point elles le touchent. Il fait au génie privé un appel qui est entendu. Les expériences se succèdent, les procédés sont en présence : Armstrong d’un côté, de l’autre Witworth. Sans même attendre que les essais aient dit leur dernier mot, on multiplie les commandes à l’industrie particulière pour qu’à bref délai les vaisseaux de la flotte soient pourvus de cette artillerie perfectionnée. Il en sera de même pour les bâtimens à cuirasse. Les essais de la Gloire, qui se poursuivent dans Tain de nos ports, doivent frapper l’amirauté. Jusqu’ici ils paraissent concluans. La frégate a porté sans embarras la surcharge de son armure en métal : ni ses qualités nautiques, ni sa vitesse, ni la régularité de ses mouvemens n’en ont été affectées. Par une mer calme, elle a divisé l’eau sans choc