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chemin faisant, avait appris à imprimer la réserve, c’est-à-dire à teindre des toiles en fond bleu dont le dessin était conservé en blanc. Il quitta Wissembach en 1744, et alla s’établir avec sa jeune famille à Kloster-Heilbronn, où il était appelé dans une manufacture de teinture et d’impression d’étoffes de laine. C’est là qu’il réussit à trouver un procédé pour une nouvelle couleur. Le bruit de sa découverte se répandit sur les bords du Rhin, et le pauvre Philippe-Jacob reçut enfin des offres avantageuses d’une maison de Bâle. Ce nouveau déplacement eut lieu vers la fin de 1749. La famille fit à pied le voyage, et le petit Christophe, qui venait à peine d’atteindre sa onzième année, mais qui avait été élevé dans la mâle simplicité des mœurs populaires, parcourut allègrement le trajet, tout fier de porter, lui aussi, son mince bagage au bout d’un bâton.

Par une louable prévoyance, le père avait eu soin de stipuler dans son contrat d’engagement que l’apprentissage de son fils aîné serait complet. Une clause spéciale portait que le dessin et la gravure lui seraient enseignés. L’enfant, qui avait l’esprit vif et le cœur droit, suivit docilement l’impulsion paternelle. Il entra par la fonction la plus humble dans sa vie de labeur, qui devait être si féconde et si belle : il commença par être tireur. Le tireur est à l’ouvrier imprimeur ce que l’écuyer était au chevalier, moins que cela, ce que le manœuvre est au maçon : il applique la couleur sur la planche. Cet échelon infime fut bientôt franchi. Les ouvriers de l’atelier de Bâle, que charmait la curiosité pénétrante du petit garçon, se firent un plaisir de l’initier aux procédés de la besogne qui leur était familière. Pendant les trois années de l’engagement de son père, Christophe poursuivit son apprentissage sans un moment de lassitude ou de découragement. Dessin, gravure, teinture, impression, il fit face à tout avec une constance au-dessus de son âge.

A l’expiration de son engagement, Philippe-Jacob fit encore deux étapes industrielles, d’abord à Lœrrach, à deux lieues de Bâle, ensuite à Schafisheim, près de Lenzbourg. C’est de cette dernière halte qu’il partit en 1755 pour se fixer dans la ville d’Aarau. Il y établit une petite manufacture de toiles peintes, et le gouvernement local, désireux d’encourager une industrie utile aux intérêts généraux du pays, s’empressa de conférer au nouveau-venu le droit de bourgeoisie. Qu’on ne prenne pas ceci pour une mince faveur ; les cantons suisses étaient alors beaucoup moins prodigues du droit de bourgeoisie que les monarchies de titres nobiliaires, de blasons et de parchemins.

Le jeune fils du bourgeois d’Aarau était déjà consommé dans le métier. Il ne s’y faisait pas une opération, quelque secondaire qu’elle fût, dont il ne connût à fond la pratique. Aussi se trouva-t-il bientôt à l’étroit dans l’établissement paternel. Il aspirait à une scène plus