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pour ne plus s’arrêter, si bien qu’on était obligé, au commencement de 1795, de payer le louis d’or de 24 livres 1, 200 francs en papier du gouvernement. Tant qu’il y avait eu possibilité de se procurer du numéraire, le salaire des ouvriers avait été acquitté en argent. Quand les écus rentrèrent sous terre, force fut de faire la paie en papier, et quoique cette situation fût fort triste au fond, elle avait aussi son côté comique. La succursale de Paris expédiait à Jouy des ballots d’assignats en feuilles, et trois femmes, les ciseaux à la main, comme la plus sombre des Parques, étaient occupées toute la journée à diviser cette monnaie fantastique. La dernière paie en assignats fut celle du mois d’avril 1796. Le chiffre s’élevait à 5 ou 6 millions ; il est vrai que pour acheter une douzaine d’œufs il fallait avoir un portefeuille assez bien garni. À la reprise des affaires, le capital d’Oberkampf se trouvait diminué de 1,600,000 fr. ; mais le nom touchant de patron que donnent les ouvriers au chef d’industrie avait été pleinement justifié. Le travail maintenu avait préservé le village de la ruine, et dans les ménages où, par suite de la rigueur des temps, cette grande ressource eût été insuffisante, le chrétien avait remplacé le patron ; la charité avait écarté la misère.

L’ancienne prospérité avait enfin reparu à Jouy lorsque s’y produisit, au mois de septembre 1797, une de ces inventions qui, en transformant les procédés d’une industrie, lui donnent un accroissement inespéré : nous voulons parler de l’impression au rouleau. L’honneur principal de l’invention revient à Samuel Widmer ; toutefois une bonne part appartient à Oberkampf pour les encouragemens et les conseils qu’il mit au service de l’idée de son neveu. Celui-ci avait grandement profité de la solide éducation dont il était redevable à l’affection de Son oncle. Il avait surtout étudié à fond la chimie et la mécanique. Lorsque, après avoir suivi assidûment les cours des maîtres les plus célèbres, il était entré dans la fabrique, son premier soin avait été d’organiser un laboratoire de chimie, contigu au vaste atelier de teinture. En outre, dans un bâtiment qui servait de buanderie pour le blanchiment des toiles écrues, il avait fait établir un appareil destiné à la fabrication du chlore, et c’est dans la manufacture qu’avait été faite la première application en grand de la méthode de blanchiment récemment découverte par Berthollet. C’est vers cette époque, en plein 1793, que Widmer avait eu la pensée de substituer pour l’impression le cylindre à la planche. L’idée était heureuse, mais de difficile exécution. Un essai de ce genre pour l'impression en relief des étoffes de laine avait été déjà tenté en 1755 par Bonvalet d’Amiens. Widmer s’était mis à l’œuvre, et, après beaucoup d’essais infructueux, il avait enfin réussi à donner un corps à sa pensée. La machine fut construite à Chaillot, et l’apparition du cylindre à Jouy eut lieu en 1797. Ce fut un progrè