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s immense, une révolution dans la fabrication. La machine imprimait facilement cinq mille mètres d’étoffe par jour, ce qui équivalait au produit du travail de quarante-deux imprimeurs au bloc, et l’impression était plus belle. Un tel progrès ne pouvait arriver plus à propos, car la ville de Mulhouse allait bientôt être réunie à la France. L’apparition sur le marché des grands fabricans de Mulhouse entraîna la chute de plusieurs établissemens, mais elle n’eut d’autre effet à Jouy que d’y stimuler l’esprit de progrès. Widmer s’efforça de compléter sa première invention par la création d’un nouvel appareil. Les cylindres étaient beaucoup plus difficiles à graver que les planches ; pour certains dessins, ils présentaient même des obstacles presque insurmontables. Après trois ans de recherches et de labeurs, Widmer parvint à faire pour la gravure ce qu’il avait fait pour l’impression. La machine à graver les cylindres fonctionna en 1800 ; elle accomplissait en une semaine le travail qu’un ouvrier habile aurait à peine fait en six mois. La rénovation de l’outillage et les progrès introduits dans la teinture par l’application des procédés chimiques accrurent l’excellence des produits, tout en permettant de les livrer à meilleur marché, et Jouy conserva sans contestation sa vieille suprématie.

Sous l’empire, la manufacture de Jouy vit son importance s’accroître encore. Quant au caractère d’Oberkampf, il ne se démentît pas. Le libre fabricant avait refusé d’entrer au sénat ; mais cette répugnance à prendre un rôle sur la scène politique ne pouvait être attribuée à une égoïste indifférence pour les intérêts publics, car, le premier consul l’ayant nommé membre du conseil-général du département de Seine-et-Oise, il accepta sans hésiter ces fonctions plus modestes, dans lesquelles il voyait la possibilité d’être utile à ses concitoyens. Cette fermeté de raison, cette sereine droiture de caractère, la simplicité et la dignité de ses mœurs, la générosité de son cœur lui avaient acquis l’affection des savans les plus illustres de son temps. Berthollet, Chaptal, Monge, Laplace, Lagrange honoraient le grand manufacturier de leur amitié, et portaient un vif intérêt à la prospérité de cet établissement de Jouy qu’ils considéraient comme une des gloires nationales. Chaptal, qui, tout ministre de l’intérieur qu’il était, n’en poursuivait pas avec moins de zèle ses expériences de teinture pour naturaliser en France la brillante couleur connue sous le nom de rouge d’Andrinople, arrivait souvent à la manufacture, les poches pleines d’échantillons, et Widmer répétait en grand ses essais. À cette époque de l’histoire de Jouy se rattache encore le souvenir d’une des plus nobles illustrations scientifiques de notre siècle. Gay-Lussac, qui n’avait alors que vingt-quatre ans, mais qui déjà était à l’aurore de la célébrité, vint une fois par semaine, pendant l’automne de 1802 et le printemps suivant, faire un