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transatlantiques. D’un commun accord, les deux colonies ont ensuite blâmé le choix, comme point d’atterrissage, de l’île Saint-Thomas, rocher aride, où règnent à l’état permanent, disent-elles, la fièvre et le choléra, où la compagnie anglaise des Indes-Occidentales possède, par achat ou par bail, le seul point abordable du littoral. La victoire une fois obtenue contre l’ennemi commun, la coalition s’est divisée comme toujours, la Guadeloupe exaltant la Pointe-à-Pitre pour l’incomparable commodité de son port, la Martinique lui opposant, outre une rade d’une égale beauté, qui est en possession depuis le XVIIe siècle de recevoir les flottes de guerre et les stations navales, l’avantage d’être de quelques minutes de latitude plus au vent et à l’est sur la route des navires qui viennent d’Europe. Cet argument paraît avoir eu gain de cause en principe ; mais à quel moment sera inaugurée la ligne des Antilles, comme l’a été, au mois de mai 1860, celle du Brésil ? C’est le secret de la compagnie concessionnaire, qui paraît moins impatiente que les colonies.

Les planteurs ont grand besoin de tous ces concours de forces collectives, à l’intérieur et à l’extérieur des îles, pour mener à bonne fin la rude mission que les événemens leur ont imposée de transformer une société vieillie dans l’esclavage en une société rajeunie par la liberté. Dans dette œuvre de régénération, toutes les difficultés se sont dressées contre eux. Désertion de la main-d’œuvre servile mal et chèrement remplacée, insuffisance du capital et du crédit en face de besoins impérieux, rigueur du pacte colonial sous le rapport commercial et douanier, tels sont les obstacles qu’il faut déraciner par les principes ou tourner par des expédiens.

Le divorce de la propriété et du travail était, même avant l’émancipation, le premier et le plus grave souci des habitans. Depuis trente ans que la question se débattait dans la presse, dans les chambres, dans les conseils coloniaux, dans le gouvernement de la métropole, cette grande, légitime et nécessaire mesure avait été précédée de tant de polémiques et d’agitations qu’on n’osait présager une transition sans orages. Les conflits antérieurs faisaient redouter la guerre. Le décret d’émancipation de 1848 fut un coup de foudre. À la Martinique, le sang coula, plutôt par un hasard malheureux que par aucun plan prémédité de vengeance. À la Guadeloupe, l’émotion fut vive aussi, et les propriétaires conçurent les craintes les plus sérieuses. Dans les deux îles pourtant, après les nuages et les terreurs des premiers jours, le ciel ne tarda point à se rasséréner, et ces deux colonies, où l’on pouvait croire à une scission immédiate et profonde entre les deux classes, furent celles où le plus grand nombre de noirs restèrent fidèles au travail, sinon aux maîtres. C’est qu’aux Antilles, faute de pouvoir recourir comme ailleurs aux coolies