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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/67

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indiens, force avait été de condescendre aux expédiens pour retenir les affranchis. Grâce à ces concessions, profitables à tout le monde, la décomposition des ateliers s’était prolongée moins longtemps chez nos planteurs que chez les colons anglais, et la race française avait montré une fois de plus son aptitude à entraîner les populations qui lui font cortège dans les champs du travail comme sur les champs de bataille.

Cette situation s’est altérée, comme si une sagesse prolongée pesait trop aux hommes, et les noirs se sont peu à peu détachés en grand nombre des habitations. L’émigration continue » et ce sont les meilleurs qui s’en vont, les plus médiocres qui restent. La faute en est-elle aux propriétaires, las de ménagemens qui coûtaient à leur amour-propre, et qui ont vu avec empressement l’Afrique et l’Asie s’ouvrir à leurs appels ? Est-elle au contraire imputable aux noirs, les uns voulant devenir petits propriétaires, les autres trouvant dans l’oisiveté un attrait supérieur à celui d’un salaire modéré et régulier sous la discipline de l’atelier ? Ces deux causes ont contribué à une séparation profondément regrettable, et qui ajourne à long terme l’espoir de l’unité au sein de la société coloniale. Les noirs se constituent en groupes séparés, et les blancs invoquent l’immigration comme leur salut, de quelque région qu’elle leur amène des bras, de l’Afrique occidentale, de l’Inde ou de la Chine.

Depuis quelques années, les Antilles puisent à ces trois sources, au moyen de traités conclus par les gouvernemens de la métropole avec un pareil nombre de compagnies[1] ; tous les mois arrive de divers points de l’horizon quelque convoi d’engagés pour remplir les vides. Les Africains sont préférés comme plus forts, moins exigeans et plus vite acclimatés ; mais déjà l’énorme disproportion des blancs aux noirs n’est pas sans éveiller quelques inquiétudes. Les Indiens sont doux, maniables, mais d’un tempérament plus délicat et d’une plus grande indolence au travail. De 1856 à 1859, 24 navires de la compagnie générale maritime ont introduit 12, 640 Indiens, avec une mortalité moyenne de 2, 75 pour 100, de beaucoup inférieure à celle des navires anglais qui entreprennent les mêmes opérations. Les Chinois, dont le recrutement est de plus fraîche date, sont les moins nombreux jusqu’à ce jour et le plus diversement jugés. Difficiles à mener, en raison même de leur langue autant que de leurs mœurs incomprises des géreurs, ils passent pour rétifs, quoique laborieux par goût, très chatouilleux sur les procédés et non moins disposés à

  1. La maison Régis, pour la côte occidentale d’Afrique ; la compagnie générale maritime, pour l’Inde ; la compagnie Gastel, Assier et Malavois, pour la Chine. Pour l’intérieur de l’Inde, c’est une compagnie spéciale d’émigration qui se charge du recrutement.