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les devoirs de la philanthropie et la prévision des malheurs lointains. Eh bien ! ne ferait-il point acte de sollicitude prévoyante en étendant jusqu’à l’Europe les primes de recrutement accordées aux engagés ? Sans méconnaître l’action débilitante des climats tropicaux sur le tempérament des blancs, on ne peut oublier que pendant un siècle et plus les Antilles ont été en grande partie peuplées et cultivées par des engagés venus d’Europe, et si les rudes travaux en plein soleil dans les terres basses doivent être réservés à des ouvriers cuirassés d’une peau moins délicate, les premiers ne peuvent-ils trouver place dans les usines et sur les zones moyennes, favorables aux plantations arborescentes, où se retrouve le climat de la zone tempérée ? Ils vivent au Brésil, au Texas, dans la Louisiane, dans les états de l’Amérique centrale : les îles seraient-elles pour eux plus inhabitables que le continent ? Tel n’est point l’avis d’hommes compétens qui ont démontré que l’insalubrité des Antilles n’a pas toute la gravité ni la portée qu’on lui attribue. Il y aurait dès lors à reprendre divers projets agités depuis quinze ans pour favoriser le passage aux colonies de travailleurs européens non par aucune excitation artificielle, mais par un libre recrutement. Pendant que les Africains et les Asiatiques continueraient leur rôle de pionniers et de défricheurs, surtout de cultivateurs de sucre, les Européens deviendraient ouvriers dans les usines, conducteurs de machines agricoles, chefs d’atelier, contre-maîtres, piqueurs, planteurs de café et de cacao, moyens et petits propriétaires dans les hauts lieux. La prépondérance de l’élément civilise se trouverait ainsi consolidée sans qu’il fût besoin d’abandonner aucune des forces inférieures qui sont utiles. L’histoire constate que le mépris du travail de la terre a éloigné des champs tropicaux beaucoup plus d’Européens que le climat. Si l’Algérie avait été soumise au régime de l’esclavage, la culture y passerait pour être impraticable aux Français, et les exemples de mortalité ne manqueraient pas.

Un personnel d’ouvriers européens serait encore précieux pour la transformation, désormais inévitable, de l’organisation du travail colonial : nous voulons parler des usines centrales. Comme ce nom l’indique, ces sortes d’usines centralisent dans un seul établissement la manipulation des récoltes de sucre de plusieurs plantations, conformément au système adopté pour la culture de la betterave. Le travail agricole et le travail industriel, aujourd’hui réunis dans chaque habitation coloniale, se trouvent séparés dans ces usines, à l’avantage même des produits. Elles sont construites sur d’assez vastes proportions pour qu’on puisse y introduire les appareils de la haute mécanique. Alors les plantations peuvent se morceler, au gré de la moyenne et de la petite culture, sans perdre de leur valeur,