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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/772

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charte, chacun est roi dans sa forteresse. Il est certain du moins que c’est cette notion-là qui seule a réussi à fonder dans le monde la liberté.

Là est la grande différence qui sépare M. Salvador de nous autres libéraux. M. Salvador veut unir et fonder ; il songe à un pouvoir spirituel, il voudrait un symbole et un dogme établi. Nous autres, nous voudrions que chacun eût son symbole ; nous craindrions de trop fortes unions, car elles nuiraient à la liberté. Comme toutes les natures exaltées, M. Salvador aime l’unité. Pour nous, au contraire, la division est la condition de la liberté. Il dépendrait de quelqu’un de fondre en une seule les nations, les églises, les sectes, les écoles, qu’il faudrait s’y opposer. Le vieux monde romain a péri par l’unité, le salut du monde moderne sera sa diversité. M. Salvador invite le siècle à regarder vers l’orient et le sud ; nous autres, nous lui disons : Fuyez vers le nord et vers l’ouest. L’Orient n’a jamais rien produit d’aussi bon que nous. Qu’y a-t-il de juif dans notre christianisme germanique et celtique, dans saint François d’Assise, dans sainte Gertrude, saint Bernard, sainte Elisabeth, et plus récemment dans Vincent de Paul, Schleiermacher, Channing ? Est-ce à ces fleurs écloses au souffle romantique et charmant de nos mers et de nos montagnes que vous comparerez vos Esther et vos Mardochée ? Qu’y a-t-il de juif dans le livre de l’Imitation, dans la vie monastique, cet élément si capital du christianisme, dans nos saints de l’époque mérovingienne, nos vrais saints ? Restons Germains et Celtes ; gardons notre évangile éternel, le christianisme tel que l’a fait notre verte et froide nature. Tout ce qu’il y a de bon dans l’humanité s’y est greffé, tout progrès moral s’est identifié avec lui. Une sorte de crudité native, et comme un péché originel, distingue les pays et les races sur lesquels cette excellente discipline n’a point passé.

Christianisme ’est ainsi devenu presque synonyme de religion. Tout ce qu’on fera en dehors de cette grande et bonne tradition chrétienne sera stérile. Jésus a fondé la religion dans l’humanité, comme Socrate y a fondé la philosophie, comme Aristote y a fondé la science. Il y a eu de la philosophie avant Socrate et de la science avant Aristote. Depuis Socrate et depuis Aristote, la philosophie et la science ont fait d’immenses progrès, mais tout a été bâti sur le fondement qu’ils ont posé. De même, avant Jésus, la pensée religieuse avait traversé bien des révolutions ; depuis Jésus, elle a fait de grandes conquêtes : on n’est pas sorti cependant, on ne sortira pas de la notion essentielle que Jésus a créée. Il a déterminé pour toujours l’idée de religion pure ; tout ce qui a été bâti l’a été sur son fondement. La religion de Jésus, en ce sens, n’est pas limitée. L’église a eu ses époques et ses phases ; elle s’est renfermée dans des symboles qui n’ont eu ou qui n’auront qu’un temps : Jésus a fondé