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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/810

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seul en ce monde est un droit vivant, et qu’il n’y a rien de Dieu sur la terre, si ce qu’il y a de plus divin n’est pas en lui.

Je me hâte d’ajouter que ce temple de Dieu est bâti d’argile, que l’homme laisse s’effacer en lui les divins caractères, qu’il abuse de ses facultés même pour rabaisser sa nature, qu’il n’est souvent que faiblesse, misère, brutalité. Nos erreurs et nos fautes n’ont pas besoin qu’on les rappelle, et de plus il est trop vrai que, par une disposition impénétrable de la Providence, les hommes jetés à profusion sur ce globe semblent en grande foule condamnés à y végéter bassement et à s’y perdre dans la nullité. Il ne faut pas faire les choses plus belles qu’elles ne sont ; mais, quelles qu’elles soient, la société et tout ce qu’elle comporte n’auraient aucune valeur, aucun but, aucune raison d’exister, si, au lieu de servir à soutenir et à relever l’individu, cet ordre si compliqué n’aboutissait qu’à l’annihiler, le dégrader, si l’individu n’y trouvait pas au contraire un champ pour déployer toute l’énergie et toute la dignité de sa nature. Que par impossible une société constituée dût faire les plus grandes choses du monde dans la guerre, dans l’administration, dans les arts, en réduisant les personnes à la condition des races esclaves, qui voudrait de ses gloires et de ses pompes à ce prix, et qui ne trouverait que le but a été sacrifié au moyen ? Ce cas extrême et forcé n’est cité que pour montrer la vraie grandeur d’une nation dans celle de ses citoyens. Quand les hommes sont fiers de leur patrie, c’est qu’ils croient mieux valoir par elle, c’est que ses institutions donnent un noble cours à leur activité, c’est qu’un rayon de sa gloire tombe sur chacun d’eux. En se dévouant pour elle, c’est encore à leur honneur individuel qu’ils sacrifient.

Ceci n’est donc pas dit pour insinuer que l’état ne fasse rien, ne puisse rien pour la dignité comme pour le bonheur des individus. Tout au contraire ; on n’en veut conclure qu’une chose, c’est qu’en dernière analyse, le bien de l’individu (et le bien ici n’est pas seulement le bien-être) est l’objet et la raison de l’association, de tout ce qui la constitue, la conserve, la fortifie, la décore. C’est en ce sens que toutes ces qualifications d’individualisme et d’égoïsme ne doivent pas empêcher un esprit ferme et vigoureux de tout subordonner, sous certains rapports, à l’homme même, et en ce sens de ne considérer le tout qu’à raison des parties.

Bien des parties dans le tout le mieux organisé seront brisées, cela va sans dire. Ces âmes dont la langue même de la statistique compose nos populations ne sont pas toutes, dans les pays les plus avancés, destinées à recevoir dans sa plénitude l’éducation qui résulte des institutions et des progrès de l’ordre social. Que d’êtres passent sur la terre sans éprouver, sans connaître à peine l’influence