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améliorante du milieu politique où le sort les a placés ! Cependant on ne peut nier cette influence ; les effets en sont souvent marqués : le civis sum romanus était un mot puissant qui remuait le Romain jusqu’aux entrailles. La nature même de l’homme est modifiée par ses œuvres, et la plus petite de ses œuvres n’est pas un gouvernement. Le droit de l’individu est donc un principe pour tout gouvernement légitime ; le perfectionnement de l’individu un but, ou tout au moins un résultat pour tout gouvernement perfectionné. On insiste sur ces choses si simples, non pour contester la prérogative de l’état, mais pour la déterminer, pour poser une limite supérieure aux prétentions d’une politique gouvernementale qui se donnerait pour unique but la puissance de la nation, ou d’une politique socialiste qui n’en connaîtrait pas d’autre que le bien-être matériel du plus grand nombre. On n’entend déclarer la guerre ni à la société ni à l’état. Ni l’une ni l’autre n’est apparemment l’oppresseur-né de l’individu ; l’une et l’autre lui viennent en aide au contraire, et sa faiblesse est leur premier titre à l’existence. Il n’est pas très facile, et il est parfaitement superflu de se représenter l’homme en dehors de la société. Dans la plus informe, à défaut d’un gouvernement régulier, se rencontre nécessairement une certaine autorité. Celle de la raison et celle de la force, qui ne sont pas toujours réunies, naissent et se montrent aussitôt que des hommes communiquent entre eux ; mais l’usurpation ne se montre-t-elle pas aussitôt que le pouvoir ? La sagesse, l’équité, l’utilité, la nécessité, sont-elles les caractères uniques ou même dominans du pouvoir qui se développe spontanément dans les peuplades nouvelles ? Heureux qui l’espère et parvient à ignorer que la passion, la violence, et pour le coup l’égoïsme, aient pris une grande part à la fondation de tous les empires ! Nous n’avons pas, nous, peuples issus du moyen âge, des souvenirs de nos origines si chers et si purs que nous puissions, sans une singulière humilité, supposer qu’en des temps primitifs quelque mal ne se soit pas mêlé à quelque bien dans les premières créations de la politique. Le mélange est partout, la lutte est constante : tout n’est pas désintéressement, justice, prudence d’un côté ; tout n’est pas avidité, ruse, envahissement de l’autre. Tout nuit et tout sert en même temps au succès, au progrès. Les diverses forces ont leurs diverses manières d’agir. L’état empêche surtout le mal. Le bien, et particulièrement le bien nouveau, vient plutôt de l’initiative des individus. Les vertus de la famille ne sont pas les mêmes que les vertus de la place publique. Les découvertes dans la science ou la morale ne sont point le fait des gouvernans ni de la multitude. Ce sont en général des hommes isolés qui ont le plus fait pour éclairer l’humanité. Quand par bonheur le pouvoir