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qu’on ne peut choisir dans les choses humaines, que le bien et le mal sont indivisibles, qu’on n’a jamais que la sagesse et la vertu qu’on peut avoir, que la géographie physique, ou le tempérament de la race, ou telle autre énumération de circonstances n’a pas permis qu’il en fût autrement, serai-je moins fondé à répondre que la raison et la volonté nous ont été données pour conjurer ces nécessités qu’on dit inexorables ? Comment contester que la venue d’un roi plus généreux, d’un homme d’état plus prévoyant, qu’une résolution prise à propos, suivie avec plus de persévérance, que plus de suite et de fermeté dans les partis, une meilleure ambition dans la noblesse, une fierté plus soutenue dans le tiers, moins de torpeur et d’insouciance dans les masses, que mille choses enfin qui ne sont pas impossibles, car elles ne sont pas contradictoires, pouvaient changer le cours de nos destinées ? Oui, je le confesse à tous nos historiens, je lis avec tristesse l’histoire de France. J’aime et j’admire mon pays ; mais il a été mal gouverné, il s’est trop souvent abandonné lui-même, et, par-dessus toutes choses, il a eu du malheur. Il est grand quand même.

Combien d’accidens qui ne sont nullement des causes générales et permanentes provenant de la configuration du sol ou du mélange ethnographique ont contribué à donner à notre monarchie la forme qui la condamnait à périr à la fin du XVIIIe siècle ! Dans tout débat sur la centralisation, on a l’Angleterre dans l’esprit, et on l’oppose en idée à la France. M. Dupont-White n’a pas négligé l’Angleterre, et il en parle avec une singulière estime. Sans qu’il l’ait voulu peut-être, le portrait qu’il trace du caractère britannique présente un contraste fâcheux pour nous. Malgré l’intention bienveillante de ses jugemens sur notre naturel national, il n’a pu échapper à la sévérité que tous les défenseurs de la centralisation témoignent en dépit d’eux pour la France. « Le sang des deux peuples, disait le plus grand de tous[1], n’est pas composé des mêmes élémens ; leur caractère ne saurait être le même : l’un est vain, léger, amoureux par-dessus tout de l’égalité ; on l’a vu à toutes les époques de l’histoire faire la guerre aux supériorités de rang et de fortune ; l’autre a de l’orgueil plutôt que de la vanité ; il est naturellement grave et s’attaque à des abus sérieux, non à des distinctions frivoles ; il est plus jaloux de conserver ses droits que d’usurper ceux des autres, L’Anglais est à la fois fier et humble, indépendant et soumis. Comment donner les mêmes institutions à deux peuples si différens ? » Le jugement de M. Dupont-White est moins leste et plus obligeant ; mais, tel qu’il est, il ne nous laisse pas grande espé

  1. Opinions de Napoléon, par un conseiller d’état.