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la faveur de l’opinion. C’est pour avoir eu cet appui que les Tudors ont tant approché le despotisme ; c’est faute du même appui qu’en prétendant au despotisme, les Stuarts ont valu au pays une révolution féconde. La royauté française au contraire, obligée par instinct et par position à une lutte perpétuelle contre la féodalité, qui nulle part, je crois, n’a été plus haïe, a presque toujours passé pour meilleure que son ennemie. Libératrice à l’encontre des tyrannies particulières, elle a pu se montrer usurpatrice contre les résistances particulières. Elle a fait passer pour promotion civique l’honneur d’être sujet du roi, parce que sa politique a été naturellement niveleuse et portait partout avec elle cette uniformité qui ressemble à l’égalité ; mais était-ce bien l’égalité véritable, c’est-à-dire la justice pour tous ? Cette espérance de protection qui accueillait partout la royauté victorieuse a-t-elle été souvent justifiée ? Que signifie ce gémissement éternel du pauvre peuple qui retentit par la voix du tiers à toute assemblée de notables ou d’états-généraux ? Je vois bien que la bourgeoisie invoque toujours la royauté : lui rend-elle jamais grâce ? Faut-il donc féliciter nos pères de cette illusion tenace qui leur a fait attendre d’en haut ce qui n’en est jamais descendu, et tendre la main quand il fallait lever le bras ? Pourquoi donc nous tant réjouir qu’aucune résistance n’ait tenu bon, qu’aucune franchise locale n’ait subsisté devant l’invasion de la souveraineté administrative, qu’aucune liberté centrale n’ait pu se créer pour diviser au cœur l’unité du gouvernement ? Tout a plié, du consentement de tous, je le veux ; mais il n’y a pas de quoi se vanter, et la faute en est aux hommes, aux classes, aux corps, aux événemens. Partons, puisqu’on le veut, du règne de Louis XI : qui nous persuadera qu’il fût nécessaire que ses deux successeurs se missent en tête leur agrandissement en Italie ? Cette politique toute personnelle a toujours passé pour une fantaisie de batailleurs. Où était l’impossibilité qu’il échût alors à la France des rois administrateurs, aimant, je ne dis pas la liberté, mais l’ordre, la règle et la réforme ? Tout gouvernement qui ramène ainsi l’attention du pays sur lui-même et concentre l’activité nationale à l’intérieur est obligé bientôt de régulariser son autorité et de développer nécessairement autour de lui un certain esprit public. Je regarde la maison de Valois comme un des grands fléaux qui soient jamais tombés sur une nation, et pour comble de malheur les troubles de religion, qui en Allemagne, en Angleterre, produisirent plus d’un utile résultat, ne causèrent que du mal en France. Ils absorbèrent la royauté dans les soins d’une lutte continuelle où elle ne montra ni discernement, ni justice, ni loyauté, ni fermeté, ni prévoyance, et où succombèrent sa conscience et son honneur plus encore