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régularité tout extérieure, la réglementation devienne minutieuse et vexatoire, au risque d’accabler le pouvoir du poids de mille griefs gratuitement encourus. D’ailleurs l’administration ne doit être chargée que de ce qu’elle seule peut faire, ou tout au moins de ce qu’elle fait mieux que tout autre. Son activité n’est pas toujours assez stimulée par un intérêt direct pour suffire à tout. Elle a ses préjugés et ses routines ; son privilège peut devenir un obstacle aux nouveautés et aux perfectionnemens qui sont plutôt le fait des individus que de l’état. Enfin les choses fussent-elles aussi bien faites par lui que par eux, le fussent-elles mieux encore si elles le sont assez bien par la société libre, qu’on lui en laisse le soin et l’honneur. Ménagez aussi les forces du gouvernement. Le public qui attend trop de lui peut devenir un public difficile. Il impose et reproche tout au pouvoir ; il ne l’aide en rien, il ne le supplée jamais. Docile par paresse, injuste par ignorance, exigeant par habitude, dénigrant par oisiveté, il est tout à la fois servile et mécontent ; habitué peu à peu à ne pas répondre de lui-même, à n’être pour rien dans ses affaires, il les abandonne à qui le veut et s’en venge par en médire. C’est un automate ennemi. Ainsi déchargé de tout devoir public autre qu’une passive obéissance, il s’assouplit également au despotisme et aux révolutions. Il faut, pour qu’une nation soit libre, qu’elle participe au gouvernement ; il faut, pour qu’elle soit libre avec intelligence, qu’elle participe à l’administration.

On pourrait comparer un gouvernement qui veut se charger de tout à un professeur qui ferait tous les devoirs de ses élèves pour qu’ils fussent mieux faits. Il pourrait leur être fort agréable et ne leur apprendrait rien. Un despotisme universel spécule aussi sur la paresse du peuple. Les prétextes, même les raisons ne lui manquent pas. Le mouvement de la civilisation multiplie les besoins et les moyens d’y satisfaire. Le mouvement de la démocratie propage de plus en plus les besoins nouveaux, et les rend de plus en plus sensibles à ceux qui ont le moins les moyens d’y satisfaire. Le sentiment de l’égalité pousse naturellement à demander et à consentir qu’une intervention bienfaisante répare autant que possible ce qu’on appelle les injustices du hasard. Faire jouir le plus grand nombre d’hommes de ce que des hommes ont trouvé de bon, c’est en beaucoup de cas l’œuvre nécessaire du gouvernement. D’ailleurs l’esprit humain dans ses progrès devient difficile. Il ne se résigne plus aux omissions, aux disparates, aux inconvéniens longtemps tolérés ; il s’éprend de la méthode, de la symétrie, de l’uniformité. Ce sont ses goûts naturels, ainsi que les procédés naturels de la puissance publique. L’état a des télégraphes : pourquoi tout le monde ne jouirait-il pas de ce moyen de transmission ? En même temps une dé-