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modernes. Je ne crois pas que l’opinion publique se trompe dans ses espérances ; mais en Angleterre, surtout quand il s’agit d’une chose aussi grave que la discipline de l’armée, on ne saute pas violemment d’un régime établi à un autre système.

Ceux qui défendent, au moins comme régime de transition, l’exercice du lash tel qu’il a été restreint par la circulaire du duc de Cambridge, s’appuient d’ailleurs sur des considérations qu’il serait injuste de négliger. L’armée anglaise est, disent-ils, placée par la nature même du recrutement dans des conditions particulières ; elle reçoit chaque année une forte proportion de caractères oisifs, turbulens et sauvages, sur lesquels il faut réagir par des moyens regrettables sans doute, mais nécessaires. On a fait en outre observer que, parmi les fautes auxquelles la loi anglaise appliquait seulement le flogging, il en est contre lesquelles le code militaire français prononce la peine de mort. Ces argumens, je dois le dire, ne m’ont point convaincu ; ce n’est pas tant la sévérité du traitement que je blâme, c’est la flétrissure morale qu’il imprime. Une autre considération plus consolante, et selon moi plus vraie, est que dans la Grande-Bretagne la liberté de la presse et de la parole exerce une active surveillance sur le système, quel qu’il soit, de punitions militaires.

Parmi les traits caractéristiques de la condition du soldat anglais, il en est encore un que je ne dois point oublier. La Grande-Bretagne nous présente, comparée à la France, deux fortes anomalies : un clergé marié, une armée mariée. Quand un soldat anglais a résolu de prendre femme, il en avertit ses chefs ; cette formalité n’est pourtant point indispensable ; mais, dans le cas où il se marie sans le consentement des officiers, il n’est point autorisé à avoir sa femme dans la caserne, et il perd certains avantages attachés par les règlemens militaires à l’union des sexes[1]. Les amours des soldats donnent quelquefois lieu à des aventures romanesques. En 1811, un soldat irlandais, Terence Burns, qui s’était engagé pour sept ans[2], reçut avec tout son régiment l’ordre de s’embarquer pour une colonie de l’Angleterre. Le vaisseau partit, et il faisait voile depuis deux jours, lorsqu’on découvrit à bord une très belle fille qui avait réussi jusque-là à se cacher dans des tas de cordages. Elle déclara se nommer Marguerite et avoir suivi son amant, le soldat Terence.

  1. Ces avantages sont motivés par les services que les femmes rendent à l’armée anglaise. L’expérience a démontré que les soldats mariés menaient une meilleure conduite, étaient moins souvent punis, et jouissaient d’une meilleure santé que les soldats célibataires. Un privilège dont ils se montrent jaloux est celui de messer (prendre le repas ) avec leur femme. Le retrait de cette faveur agit quelquefois sur l’esprit du soldat marié plus qu’une forte correction.
  2. Le temps que le soldat passe sous les drapeaux avait été réduit alors provisoirement à sept années.