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Celles qui ne vivent pas dans la caserne reçoivent une solde de 2 pence par jour, et se groupent volontiers dans le voisinage. J’ai plus d’une fois visité sur la plaine de Woolwich, dans un coin abrité de quelques arbres et séparé de la route par une haie, une sorte de village dont toutes les maisons se ressemblent, et qu’on pourrait appeler une colonie de femmes de soldats. Là chantent des oiseaux en cage, dont le ramage est le plus souvent couvert par la voix des enfans, laquelle est elle-même dominée par le babil des mères. Le dimanche, ces femmes, assez bien vêtues, se promènent avec un air de triomphe au bras de leur mari, surtout quand celui-ci porte sur la poitrine la médaille de la reine Victoria.

Pour la bien connaître, ce n’est point encore dans la caserne ni sur le sol natal qu’il faut étudier cette créature à part ; il faut la suivre sur le grand théâtre des aventures militaires. Les départs de troupes, si fréquens, pour les colonies ou pour des champs de bataille éloignés, donnent lieu à des scènes émouvantes qui ont fourni à la peinture anglaise ses meilleures pages. Toutes les femmes ne sont pas autorisées à accompagner leurs maris dans ces expéditions de long cours ; le navire s’ébranle au milieu des larmes et des derniers embrassemens. Environ quatre femmes sur cent soldats sont reçues à bord, et suivent, comme on dit, la fortune du tambour. C’est ici pour elles toute une nouvelle carrière à parcourir. Le mariage commence à peser, avec tous ses devoirs les plus austères, sur ces natures bizarres ; mais l’amour conjugal semble grandir chez elles au milieu de la lutte contre les obstacles et les difficultés de la vie. On peut rire de la femme du soldat anglais à l’intérieur du pays, on ne saurait que l’admirer sur la scène des entreprises militaires. Ce n’est point à elle que convient l’épithète de sexe faible. Il faut la voir sur les grands chemins, marchant avec un groupe d’enfans à ses côtés, ou huchée sur le chariot qui porte les bagages du régiment, un nouveau-né dans ses bras, et ayant grand soin de ne pas perdre de vue la petite malle qui contient tout l’avoir du soldat. À chaque halte, elle oublie ses fatigues pour décharger son mari, prendre soin du havre-sac, changer les habits, préparer le modeste repas pour lui et les enfans, l’encourager par sa conversation. Sœur de charité en même temps qu’épouse, elle souffre tout avec une patience et une résignation qu’éclaire un rayon de force. À la suite de toutes les campagnes, les généraux et les colonels anglais ont signalé dans leurs rapports l’heureuse influence que ces femmes héroïques ont exercée sur le moral des troupes. Privations, labeurs, fatigues, dangers, elles avaient tout partagé, moins la gloire.

Lors de la guerre de la Péninsule, qui a laissé de si tragiques souvenirs dans l’armée anglaise, une de ces sœurs du drapeau, la