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pu lui parler avec plus d’enthousiasme des grandes choses qu’elle pouvait accomplir par l’unité de ses mouvemens, il n’aurait pu se montrer plus exigeant en fait de discipline, il n’aurait pu insister avec plus de vigueur sur les devoirs d’un homme de parti, qu’il le faisait en 1811 pour raffermir l’autorité de Madison, son successeur. « Si nous faisons schisme sur les questions de personne ou de conduite, écrivait-il à un journaliste mutiné, le colonel Duane, si nous n’agissons pas en phalange, comme à l’époque où nous avons délivré le pays des satellites de la monarchie, ce sera la défaite, je ne dirai pas de notre parti (le terme serait faux et dégradant), mais de notre nation, car les républicains sont la nation… Le dernier espoir de la liberté humaine en ce monde repose sur nous. À un intérêt de cet ordre, il faut sacrifier tous les attachemens, toutes les inimitiés. Laissons donc le président libre de choisir ses propres coadjuteurs, de poursuivre sa propre politique ; soutenons-les, lui et eux, même lorsque nous nous croyons plus sages qu’eux, plus honnêtes qu’eux, ou mieux et plus largement renseignés sur la situation. Si nous marchons en masse, fût-ce même par les chemins les plus détournés, nous atteindrons le but ; mais si nous nous divisons en petites escouades, poursuivant chacune la route qui lui paraît la plus courte, nous deviendrons la facile conquête de ceux qui aujourd’hui peuven- à peine nous tenir en échec… Je le répète, point de schisme, ni sur les questions de personne, ni sur les questions de conduite. Les principes seuls peuvent justifier les schismes… Tant que le pouvoir dans mon pays, exécutif ou législatif, restera républicain, je serai avec lui, j’appuierai ses mesures, que je les trouve bonnes ou mauvaises. »

Jefferson donna son appui à la politique belliqueuse de Madison en 1812 ; la trouva-t-il bonne ou mauvaise ? Elle était fort contraire au « système quaker » de gouvernement qu’il avait pratiqué lui-même pendant huit ans, et qu’il avait depuis préconisé auprès de Madison comme le plus utile au pays et le plus commode pour le pouvoir. Amortir la dette publique, tel était à ses yeux le premier intérêt de la nation ; ne protéger le commerce américain contre les spoliations de la France et de l’Angleterre que par des embargos, ne répondre à l’insolence des belligérans que par des notes diplomatiques et des règlemens de douane, louvoyer, gagner du temps, en attendant le l’établissement de la paix générale, telle était, suivant lui, la seule conduite raisonnable à suivre dans les rapports avec l’Europe. Aussi ne regrettait-il guère dans le passé que les actes de son gouvernement par lesquels il avait, sous la pression populaire, dérogé à ces pacifiques principes, se félicitant de n’avoir pas été entraîné lui-même à la guerre par ces fautes inévitables, et