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répondit qu’il ne discuterait point une décision si honorable pour lui, mais qu’il connaissait un homme dont la conduite avait été pour le moins aussi méritoire que la sienne dans cette journée : c’était un sergent-major des Coldstream guards, un certain Fraser. Au moment où les Français s’étaient élancés sur Hougoumont avec une telle furie que les portes de la ferme s’ouvrirent et que la position était menacée, ce sergent avait aidé le général à refermer, par un prodige de force et d’audace, les portes sur l’ennemi. Sir James déclara en conséquence qu’il recevait les 500 livres sterling, mais qu’il en remettrait 250 au brave sergent avec lequel il entendait partager la récompense, comme il avait partagé le péril. De tels faits sont de nature à appeler l’intérêt du pays sur la classe des militaires.

Une question a beaucoup occupé dans ces derniers temps les publicistes de la Grande-Bretagne, la réforme sanitaire de l’armée. La grande mortalité des soldats comparée à celle des autres classes de la société excita, il y a deux ans, une émotion pénible. Au point de vue économique, on estime que le soldat anglais tout à fait formé vaut 100 livres sterling ; au point de vue moral, sa valeur est inappréciable : c’est donc une perte grave que subit l’état toutes les fois que la fosse s’ouvre pour recevoir un des hommes enlevés au service militaire. Parmi les maladies de l’armée, il en est de feintes et qui méritent plutôt le blâme que la pitié[1] ; mais il en est beaucoup d’autres trop réelles et qui réclament un sérieux intérêt. Il n’y aurait pas encore trop lieu de s’étonner si la santé du soldat anglais ne subissait de graves altérations que dans ces contrées lointaines, tour à tour brûlantes ou glacées, où l’appellent les intérêts de la nation ; mais chez lui, au milieu de son air natal, le fait devient plus inquiétant. La surprise redouble quand on songe que l’armée se recrute dans une classe de jeunes gens qui, avant d’entrer au service, ont en quelque sorte reçu un certificat de bonne constitution physique. Ces jeunes soldats sont pour la plupart les rudes enfans de la chaumière ; leur bien-être, du moins sous certains rapports, s’est accru au lieu de diminuer du jour où ils sont passés de la vie civile à la vie militaire. On a cherché les causes de cette mortalité exceptionnelle, et on a cru les trouver dans le mauvais état des anciennes casernes, dans la qualité de la nourriture et

  1. On donne le nom de malingering à l’art de produire certaines maladies artificielles. Cet art est très développé dans quelques régimens. Le but que se proposent les soldats en agissant ainsi est d’obtenir une immunité de service ou même leur exemption. On peut voir l’histoire très curieuse de ces fraudes dans un livre anglais appuyé sur des documens officiels : On the Enlisting, Discharging and Pensioning of Soldiers (De l’Enrôlement, de l’Exemption et de la Mise à la pension des Soldats), par Henry Marshall, inspecteur-général des hôpitaux militaires.