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mot pluck il indique l’idée d’un effort énergique, et s’entend aussi bien de l’homme qui déracine un arbre que de celui qui arrache un obstacle dans l’ordre moral. On l’emploie pour signifier le courage, mais le courage uni à la fermeté, à l’obstination, au sang-froid, à une résolution croissante et qui ne cède jamais. Les soldats anglais ont d’autres ennemis à combattre que les armées étrangères ; ils ont les tempêtes, les naufragés, les climats, les déserts ; il leur faut être à la fois braves contre les hommes et contre les choses[1]. Tout cela est le pluck. Le rude mot saxon indique en outre un genre de valeur soumis à la réflexion et au contrôle du devoir. On s’étonnera peut-être qu’en parlant de la vie des camps et des casernes, je n’aie rien dit du duel ; c’est qu’il est à peu près inconnu dans l’armée anglaise. Les armes que la Grande-Bretagne remet aux mains du soldat sont pour soutenir le point d’honneur de la nation et non pour servir des vengeances particulières. Ce que la nation anglaise admire pour le moins à l’égal du courage dans l’esprit militaire, c’est une certaine grandeur d’âme et une sorte de désintéressement qui élève l’homme au-dessus de l’amour-propre. Un fait l’expliquera mieux que tous les commentaires. Vers 1837, Wellington, qui sortait un soir d’Apsley-House, fut abordé par deux gentlemen dont le visage lui était inconnu. Ils lui annoncèrent qu’ils étaient les exécuteurs d’un testament fait par un ami d’un tour d’esprit fort excentrique, et qui avait laissé 500 livres sterling à l’homme le plus brave de l’armée anglaise. Leur intention, ajoutèrent-ils, était de remettre au duc un bon (heck) pour toucher cette somme chez le banquier, bien convaincus qu’ils étaient l’un et i autre d’exécuter en cela les volontés du mort. Le duc les remercia, mais refusa le legs, donnant pour raison qu’il connaissait dans l’armée anglaise beaucoup d’hommes aussi braves que lui. On le pressa du moins de se poser en arbitre ! et de désigner celui qu’il considérait comme le plus digne de répondre au vœu du testateur. Il y consentit, mais demanda quelques jours pour réfléchir. Après avoir bien cherché, — car la tâche était, selon lui, plus difficile qu’il ne l’avait cru tout d’abord, — il nomma le major-général sir James Macdonnell. Ce dernier commandait en 1815, à Hougoumont, un poste qui avait été la clé de la bataille de Waterloo. Les exécuteurs se rendirent chez sir James Macdonnell, et, après lui avoir fait connaître le choix du duc, lui présentèrent l’argent. Sir James

  1. Lors des massacres de l’Inde, trois jeunes officiers, prévenus par les naturels dont ils étaient aimés, prirent la fuite au moment où le sang allait couler. Ils eurent à traverser des forêts, des rivières, des sables brûlans. L’un des trois mourut de soif dans le désert, les deux autres gagnèrent, après des efforts incroyables, un point des possessions anglaises où ils se trouvèrent en sûreté.