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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/934

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mois de juin 1860 le deux-centième anniversaire de sa naissance dans un banquet présidé par le prince Albert. L’histoire de ce régiment est glorieuse ; durant sa carrière de deux siècles, il a combattu sur terre et sur mer contre les Français, les Hollandais, les Espagnols, les Maures, les Turcs et les Russes. Il enveloppe dans les plis de son drapeau des souvenirs comme ceux de Blenheim, de Ramillies, d’Oudenarde et de Malplaquet. Les gardes ont rendu au pays d’éminens services et jouissaient de grands privilèges qui ont été réduits dans ces derniers temps, mais contre lesquels s’élève encore la voix des journaux.

Je ne dois point négliger dans cette étude les rapports de l’armée avec l’état. C’est ici un nouveau point de vue qui nous mettra mieux à même de juger le rôle des troupes dans la Grande-Bretagne. Le siège du gouvernement militaire est dans Whitehall, ce quartier de Londres si célèbre par les souvenirs historiques. Là s’élève, sous le nom de horse-guards, un édifice d’un pauvre goût, construit d’après les dessins de Kent, et à l’entrée duquel deux immenses sentinelles à cheval, véritables statues équestres, montent constamment la garde dans une sorte de niche[1]. L’hôtel était à peine bâti que le peintre Hogarth représenta, dans une de ses immortelles caricatures, la voiture royale traversant avec un cocher sans tête l’arche centrale, qui manque en effet d’élévation et de solennité. Dans l’intérieur et autour du palais des horse-guards se répandent les bureaux du département de la guerre. Le chef de l’état est, d’après la constitution anglaise, la tête de l’armée : il a dans la personne du commandant en chef, aujourd’hui le duc de Cambridge, un représentant qui agit comme gouverneur des forces. Le lien entre l’administration militaire et le gouvernement civil s’établit au moyen du secretary at war, ministre de la guerre, dont la résidence et les bureaux, war-office, sont installés dans Pall-Mall. Si je m’arrête aux apparences, je serai donc porté à croire que l’armée britannique appartient à la reine ; mais si je creuse les faits, je vois bientôt qu’il n’en est rien. La reine ne peut avoir de soldats sans le consentement annuel et positif du parlement ; elle ne peut payer un shilling à ces mêmes soldats sans

  1. L’hôtel des horse-guards est le rendez-vous des curieux, des marchandes d’oranges et des oisifs en haillons : cette dernière circonstance a même donné lieu à un mot de la langue dont plusieurs Anglais ignorent l’origine. Ce mot est blackguard ; il fut donné d’abord à de pauvres diables aussi noirs que leur nom qui ciraient les bottes et faisaient les commissions des gardes. Aujourd’hui ce terme est une violente injure. Déjà, vers 1806, le général Picton, s’adressant à ses soldats, qui avaient commis des actes de pillage, leur dit qu’ils étaient les plus grands blackguards de l’armée. Ce même régiment, s’étant distingué plus tard dans une charge, passa devant le général en criant : « Sommes-nous encore des blackguards ? — Non, répondit le général en souriant, cette journée vous a réhabilités. »