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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/935

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que le pouvoir législatif ait voté les subsides. Durant tout le dernier siècle, il est vrai, la situation de l’armée était incertaine, et c’est même à cette incertitude qu’on peut attribuer le caractère longtemps impopulaire d’une institution qui a pourtant fait la gloire et la force de la Grande-Bretagne. Chez cette nation jalouse de ses privilèges et de ses libertés, on envisageait le soldat avec inquiétude, ne sachant pas trop si ses couleurs étaient celles du pouvoir exécutif ou de la nation. Aujourd’hui toute indécision a cessé : le duc de Cambridge, avec un désintéressement et un respect qu’on ne saurait trop louer pour les principes du régime représentatif, déclarait lui-même, il y a quelques mois, devant une commission de la chambre des communes, que le consentement du ministre de la guerre était nécessaire pour toutes les grandes mesures qui intéressaient l’armée. Or le ministre, seul responsable des actes du souverain, qui ne saurait mal faire, se trouve placé, comme tout le monde sait, sous la main du parlement, qui peut lui donner ou lui refuser un vote de confiance. Dans cet état de choses, je ne vois que le serment qui soit un lien très sérieux entre l’armée et la couronne ; mais si le serment assure au chef de l’état la fidélité des troupes, il ne lui donne pas la haute main dans l’administration. En fait, la reine règne sur l’armée comme elle règne sur le pays, par l’éclat de son titre, par certaines prérogatives, surtout par la confiance et l’affection des soldats, et ce n’est point moi qui nierai l’étendue de cette influence dont il est pourtant facile d’apercevoir les limites. Grâce à une forte division des pouvoirs, l’armée anglaise est ce que doit être une armée dans une monarchie libre, le rempart du trône et de la nation ; dans aucun cas, elle ne peut devenir un instrument de domination politique. Ce caractère d’impartialité que la loi assigne à la force armée s’altérerait-il dans certaines circonstances extraordinaires, comme par exemple sous la main d’un général qui aurait sauvé le pays ? J’ai lu dans le Mémorial de Sainte-Hélène que Napoléon, du haut de son rocher, prédisait aux libertés anglaises de sombres destinées, et se reposait sur Wellington du soin de faire payer cher à nos voisins la victoire de Waterloo. Ou l’on a prêté à l’empereur des idées qu’il n’a jamais eues, ou il connaissait bien mal les institutions et le génie de la Grande-Bretagne. Nul pays ne récompense plus que celui-ci les services militaires, et le duc de Wellington est un exemple de cette libéralité ; mais plus le cercle des honneurs s’élargit devant l’ambition d’un soldat anglais, plus il sait qu’il ne rencontrerait au-delà que le vide, la résistance et une ruine inévitable.

Ces réflexions étaient nécessaires pour expliquer l’absence de la pompe militaire dans les grandes villes du royaume-uni et même dans les cérémonies royales. Un étranger peut avoir séjourné à Londres