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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/937

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forces sur le théâtre de la lutte. Les femmes de toutes les classes, partageant l’émotion publique, se hâtent d’envoyer aux soldats le plum-pudding de Noël, la chemise de flanelle, la bourse de tabac et la gourde de wisky. Des souscriptions s’ouvrent d’un bout à l’autre du royaume pour venir au secours des veuves et des orphelins que couvrent de deuil les champs de bataille. D’un autre côté, l’indépendance nationale se croit-elle à tort ou à raison menacée, même en temps de paix, tous les regards se tournent avec encore plus d’inquiétude vers les moyens de défense, vers les arsenaux et l’armée. Le pays ne recule alors devant aucun sacrifice, et l’état, en puisant dans la bourse des contribuables, ne fait qu’obéir à l’impulsion du sentiment national. On sait de combien s’est accru en 1860 le budget de la guerre ; or, quand on parle d’armée, il faut faire entrer en ligne de compte les finances de la Grande-Bretagne. Ne perdons point de vue que, dans sa lutte avec le premier empire, l’Angleterre dut surtout de se tenir debout dans son île, au milieu de l’Europe accablée, à d’immenses sacrifices d’argent dont la dette flottante du royaume porte encore le fardeau. Enfin, non contente de jeter son or quand les circonstances l’exigent, la nation offre son sang. Désespérant d’élever du jour au lendemain l’armée à la hauteur des périls vrais ou fictifs que croyait entrevoir, il y a un an, l’imagination effrayée, les citoyens se sont faits eux-mêmes soldats, et se sont rangés à côté des troupes pour fortifier la barrière qui défend la Grande-Bretagne contre une surprise.

L’armée des volontaires réclame une étude à part. Avant de raconter ce qu’eut de soudain et d’étrange, ce mouvement national, je dois signaler une erreur de la presse française. Voulant sans doute épargner aux deux pays des charges onéreuses, quelques écrivains ont cru calmer les alarmes au-delà du détroit en parlant beaucoup de la générosité de la France, qui ne voudrait point abuser de ses forces contre une nation désarmée. Je ne juge point l’intention et je veux bien croire à cette générosité de mon pays ; mais la forme était au moins maladroite, et annonce une profonde ignorance du caractère ou, si l’on veut, de l’orgueil britannique. Une grande nation comme l’Angleterre ne consentira jamais à se reposer sur la magnanimité d’un voisin ni même d’un allié. Plus on lui tiendra ce langage, et plus la nation froissée cherchera ses armes, ne fût-ce que pour combattre un fantôme.


ALPHONSE ESQUIROS.