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technique, point de progrès, et même, si l’on veut, des penchans rétrogrades ; dans l’ordre moral au contraire, dans la sphère du sentiment et de la pensée, progrès immense, progrès dont j’ose à peine indiquer la mesure. Hemling est un de ces artistes qui sont de tous les siècles. Son temps ne lui impose qu’une enveloppe transparente qui laisse percer son âme. Sous un autre costume, c’est l’âme de Le Sueur : même famille et même sang. Comme le peintre de Saint Bruno, l’auteur des triptyques de Bruges connaît à fond tous les mystères des cœurs que la grâce a touchés. Sur les visages de ses saints, on lit ces joies du ciel et ces tristesses de la terre dont nous verrons aussi l’ineffable mélange dans les regards de nos chartreux. C’est la même onction, la même humilité, je ne sais quoi de chaste, de modeste et de tendre. Aussi quel ami que ce peintre ! comme son souvenir vous charme et vous nourrit ! quelles douces pensées il entretient en vous ! comme il vous initie à la puissance de son art ! Pour moi, je ne sais rien qui m’ait déterminé plus vivement dans ma jeunesse à tenter de comprendre le langage des arts que ma première visite à l’hôpital de Bruges. J’aimais la psychologie, je la croyais ma vocation ; j’appris là qu’on en pouvait faire devant l’œuvre d’autrui d’une façon plus attrayante qu’au dedans de soi-même ; j’entrevis les perspectives infinies qu’un peintre peut ouvrir, tout ce qu’il sait dire de l’âme humaine et du monde idéal. D’autres ont eu sans doute, en parlant ce langage, de plus parfaits accens : dans la famille des grands peintres, il est des génies plus complets, plus sublimes, il en est de plus souples et de plus gracieux ; mais des révélateurs plus vrais et plus directs de l’intérieur des âmes, je n’en ai guère trouvé.

Mon but n’est pas de décrire ces tableaux. Bien que trop peu nombreux, s’il me fallait montrer figure par figure tout ce qu’ils me semblent exprimer, le lecteur ne me suivrait pas : j’aime mieux l’engager à les voir ; mais je voudrais au moins en indiquer ici les divers caractères, car s’ils sont tous de même main, et presque de même date, il s’en faut qu’ils se ressemblent tous.

Et d’abord rien n’est plus différent que la célèbre châsse et le grand tableau à volets, qui fait face à la porte d’entrée. C’est d’un côté ce qu’on nomme aujourd’hui de la peinture d’histoire, de l’autre c’est de la miniature Sans doute il y a des trésors d’esprit dans ces scènes microscopiques qui décorent les parois du précieux reliquaire, sorte d’église en bois doré qui n’a guère que trois pieds de haut. Le sujet est heureux ; c’est le pèlerinage et le martyre de sainte Ursule et de ses compagnes. On suit le charmant cortège de tous ces blonds visages depuis la côte d’Angleterre jusqu’à la ville éternelle. Les détails de la navigation du Rhin, le passage à Cologne et à Bâle, la bénédiction du saint père sous les remparts de Rome,