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pital ? Il faut dire le musée : voyez plutôt ce gardien en permanence et l’album obligé pour inscrire votre nom. Dans ce lieu, naguère, si maussade aux artistes, où les médecins étaient seuls bien venus, il n’est plus question de malades, c’est de peinture qu’il s agit. Tout pour les visiteurs. La châsse n’est plus dans l’église, elle est là au milieu de la salle. Tournant sur un pivot, on peut la voir dans tous les sens. À côté des tableaux, des deux triptyques et du diptyque, voilà des photographies qui, plus ou moins bien, les rappellent ; on vous les offre, on vous les vend. Rien n’y manque. La salle seule n’est pas changée : c’est toujours notre vieux parloir, et pour ma part je n’en voudrai pas d’autre ; mais bientôt, j’en ai peur, la salle aura son tour : les maçons ont envahi l’hospice, les cours sont pleines de matériaux. Encore un peu, et nous verrons Hemling logé dans quelque petit palais.

D’où viennent ces métamorphoses ? Est-ce un caprice de la mode, un engouement de moyen âge factice et passager ? Non ; la lumière s’est faite, et voilà tout. La gloire n’a pas été prompte pour le pauvre soldat blessé ; mais une fois venue, elle devait aller vite et grandir en marchant. Ce n’est pas en effet à quelques raffinés que cette peinture s’adresse. Son moindre prix est dans sa rareté. Il n’y a là ni tour de force ni précocité merveilleuse ; ce n’est pas, en un mot, de la curiosité, c’est de l’art, de l’art profond, de l’art durable, bien que portant encore des traces d’archaïsme et de naïveté. Je dis mieux : si vous ne tenez compte que du maniement du pinceau, de la pratique matérielle, rien ne vous avertit que trente ans ont passé entre Hemling et les deux van Eyck : il n’y a pas de progrès sensible ; on pourrait presque dire qu’il y a moins de métier. Est-ce l’effet d’un parti-pris, d’une sorte d’obstination à ne pas peindre à l’huile, à ne pas adopter l’innovation des van Eyck, à se distinguer d’eux par une fidélité systématique aux anciens procédés de l’école de Cologne ? Cette thèse a été soutenue : je n’oserais prononcer. Les chimistes eux-mêmes hésitent, comme on sait, à distinguer dans un ancien tableau, seulement à la vue, dans quelle espèce de liquide les couleurs ont été préparées. Plus on regarde de près ces peintures de l’hôpital Saint-Jean, surtout la chassé de sainte Ursule, le joyau le plus fin, sinon le plus précieux, de l’œuvre d’Hemling, plus on est tenté de croire qu’il y a là quelque chose de plus que la détrempe. Je laisse juger les experts ; mais en admettant même qu’Hemling ne se soit pas volontairement privé des ressources de la peinture à l’huile, il n’en est pas moins vrai que sa touche a l’aspect moins moderne que celle de Jean van Eyck, qu’il empâte moins son modelé, surtout dans les carnations, et procède par petites hachures apparentes tout à fait analogues au travail de la miniature sur le vélin des manuscrits. Ainsi, dans l’ordre