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puissant et le plus original. Je reconnais que le petit triptyque, de dimension moyenne, représentant l’Adoration des Mages, est une œuvre plus achevée, plus harmonieuse, et que de très bons juges lui peuvent donner la palme. Les dissonances y sont plus rares, la raideur archaïque s’y laissé moins sentir : la touche en est plus fine et plus égale ; on dirait la limpidité d’un Metzu ou d’un Gérard Dow ; seulement les figures sont encore trop petites pour se prêter à cette étude approfondie des caractères qui fait d’Hemling un peintre à part au milieu de ses contemporains. Dans ces petites têtes, il y a sans doute un charme extrême : j’admets qu’elles sont d’un style déjà plus franc et plus individuel que les figures de la châsse ; mais, comparées à celles du grand triptyque, elles manquent de cachet et de distinction. Si d’abord on se passionne pour l’Adoration des Mages, parce qu’elle est plus irréprochable, on ne veut plus quitter le Mariage de sainte Catherine quand une fois on y revient ; on s’y attache, on s’en pénètre ; sans cesse on y découvre quelque chose de plus. C’est une de ces symphonies qui semblent plus nouvelles à mesure que l’oreille les entend plus souvent.

Il est pourtant à Bruges une autre œuvre d’Hemling que je préfère encore à celle-ci. J’en aime la couleur autant que la pensée ; elle est claire, argentine et chaude en même temps. Le faire en est moelleux, bien que ferme et précis. C’est encore une étude de haute psychologie dans un délicieux tableau. Les figures, sans être des plus grandes, sont d’une proportion qui permet de tout exprimer. C’est un triptyque aussi. Le sujet du panneau central est le divin baptême dans les eaux du Jourdain. Pas l’ombre de couleur locale, je n’ai pas besoin de le dire. le Jourdain coule dans de vertes prairies, de vraies prairies flamandes ; il est limpide et profond. La tête du Sauveur, son corps surtout laissent à désirer. Le nu est toujours recueil de la peinture de ce temps, surtout dans les pays du nord. La tête, sauf qu’elle n’est pas divine, ne manque cependant pas de beauté ; mais le saint Jean, quelle sublime figure ! quelle sainte humilité ! quelle austère componction dans ces traits amaigris ! quel regard soumis et prophétique ! Puis, vers le premier plan, voyez cet ange qui vous tourne le dos, à genoux sur le bord du fleuve, préparant le précieux tissu qui tout à l’heure, au sortir des eaux, va couvrir le corps du Sauveur. Avec quelle attention, quel respect, quelle joie il accomplit son ministère ! Comme il contemple le divin baptisé ! comme il l’adore ! quelle foi et quel amour ! Cet ange est une des belles figures qui aient jamais été peintes. Sa tête, sa chevelure, le riche vêtement, la chape pontificale qui couvre ses épaules, tout est exécuté avec une hardiesse et une perfection que Jean van Eyck lui-même, a rarement égalées. Et maintenant regardez les volets, votre admiration va peut-être s’accroître : vous n’y trouvez pourtant