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façon de Pieter de Hooghe. Je ne sais si, comme facture et comme souplesse de pinceau, ce n’est pas dans ce diptyque que l’artiste est le plus passé maître. C’est aussi le dernier ouvrage que nous ayons de lui. Les deux triptyques de l’hôpital sont datés de 1479, la châsse de 1480[1] ; on lit sur le diptyque : 1487.

Voilà le compte exact des richesses de Bruges ; mais n’y a-t-il donc que là des Hemling véritables ? Si jeune qu’il ait pu mourir, ce peintre, dans sa vie, n’aura-t-il fait que cinq tableaux ? Je ne le prétends pas, et me garde de contester qu’on puisse ailleurs trouver de ses ouvrages ; mais pour que ceux qu’on lui attribue aient vraiment droit à cet honneur, j’y veux trouver une sérieuse analogie avec ceux qui sont seuls authentiques, avec les Hemling de Bruges. Or, ne l’oublions pas, dans les tableaux de l’hôpital, nous avons reconnu deux genres bien différens. Les perfections qu’on admire dans la Châsse et même dans l’Adoration des Mages, vous pouvez, jusqu’à un certain point, en retrouver des traces chez d’autres miniaturistes de cette époque dont les noms nous sont inconnus. Cette finesse exquise de pinceau n’est pas un attribut d’Hemling assez particulier et assez exclusif pour que partout où on la rencontre, on se permette d’affirmer que l’ouvrage est de sa main, de même qu’elle lui est trop naturelle pour qu’on ait droit de soutenir qu’il ne vient pas de lui. Dans le champ de la miniature, la liberté des conjectures ne peut donc être limitée, de même qu’une certitude ne peut pas être établie. Ainsi je vois au Louvre deux charmans petits fragmens de triptyques, attribués à van Eyck quand ils appartenaient à Lucien Bonaparte, et achetés depuis comme œuvre d’Hemling à la vente du roi des Pays-Bas : qu’en puis-je dire ? sinon que je regarde l’attribution nouvelle comme infiniment mieux fondée que la première, qu’il y a les meilleures raisons pour que ces deux figures, si sveltes, si rêveuses, d’un ton si argentin, et qui évidemment ne sont pas peintes à l’huile, n’appartiennent pas à van Eyck, qu’il y en a même d’excellentes pour supposer qu’Hemling en soit l’auteur ; mais affirmer que lui seul le peut être, que de son temps personne n’aurait pu peindre ainsi, que dans l’école si nombreuse de Rogier van der Weyden, où, selon toute apparence, Hemling avait dû prendre ses premières leçons, il n’avait pas un seul émule qui nous ait pu laisser ces deux petits volets, qui l’oserait ? Notre terme de comparaison, c’est-à-dire le spécimen des miniatures

  1. Il parait résulter de recherches récemment faites dans les comptes de l’hôpital qu’en 1480 la châsse fut seulement commandée, mais qu’elle ne fut achevée qu’en 1486. L’exposition publique en fut même retardée jusqu’en 1489. La commande avait été faite par Adrien Reims, alors président de l’hôpital, et le peintre, entre 1480 et 1486, fit deux fois le voyage de Cologne dans l’intérêt de son travail. Il est aisé de reconnaîtra qu’il a dû étudier sur place la silhouette des monumens de Cologne.