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ne tarderaient pas à s’y implanter. Le public gagnerait-il à ce changement ? Rencontrerait-il dans ce nouvel état de choses une plus sûre et plus expéditive satisfaction de ses besoins ? Il est permis d’en douter ; mais au point de vue des progrès à accomplir, des perfectionnemens à apporter dans la construction de nouvelles voies, je ne crains pas d’affirmer que l’expropriation serait une mesure funeste. L’administration gouvernementale est en effet essentiellement conservatrice, c’est son devoir et sa mission ; elle ne peut pas être militante, elle ne peut accepter le progrès qu’après de longues épreuves : elle n’a pas d’initiative, parce que l’individualité des personnes n’y ressort pas. Elle est la tradition, la conservation du progrès expérimenté et accepté. Elle régit ce qui est, elle n’a pas à prévoir ce qui peut être, car l’émulation de l’intérêt privé ne doit pas exister dans son sein. Aussi est-elle restée dans l’établissement des chemins de fer comme le notaire des compagnies : elle a rédigé et sanctionné leurs actes, elle en a laissé les conséquences à la charge des intéressés. On n’ignore pas comment, depuis 1842, son intervention s’est bornée à faire et à défaire des contrats dont, au nom de la chose publique, elle a été chargée de contrôler et de surveiller l’exécution. Elle n’en est pas moins demeurée étrangère à tous les progrès réalisés dans cette grande industrie, à toutes les innovations qui s’y sont produites. Elle les a constatés, examinés, étudiés, appliqués après de longues épreuves ; mais elle n’a pu, en leur donnant son concours, revendiquer à son avantage aucune initiative. Elle ne le pouvait pas, car son rôle, nous le répétons, essentiellement conservateur, est sûr, mais lent, utile, mais frappé d’immobilité. En d’autres termes, elle administre, mais elle ne fait pas, elle ne peut pas faire des affaires, et pour ne parler que des chemins de fer, il paraît impossible qu’elle puisse devenir un agent d’exploitation. Il faudrait néanmoins méconnaître les tendances mêmes de la nature humaine pour supposer que l’état, devenu propriétaire des chemins de fer, ne fût pas entraîné à suivre et à étendre le système qu’ont peut-être inconsidérément inauguré les compagnies elles-mêmes, lequel consiste à établir de vastes ateliers pour fabriquer les engins qui leur sont nécessaires. On peut donc voir apparaître dans le rachat l’absorption par l’état de toutes les industries qui tiennent aux chemins de fer : fabrication de locomotives, de wagons, de matériel de toute sorte, y compris la fabrication des rails et, par suite, l’expropriation des usines métallurgiques, ce dont ne seraient peut-être pas fâchés les maîtres de forges par le temps qui court. L’application et le principe de l’expropriation en matière industrielle seraient peut-être ainsi l’origine d’une révolution économique redoutable : la substitution de l’état à toutes les industries qui puisent