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tre la beauté de sujets trop pompeux et d’œuvres trop éclatantes, et qui, pour saluer le génie de Phidias, exigerait que ce génie lui fût exprimé, non par la figure d’un cheval, mais par la figure de la Minerve. S’il n’a pas su découvrir le génie de l’artiste dans la figure du cheval, il ne le découvrira pas davantage dans la figure de la Minerve. En choisissant un simple cheval pour thème des considérations les plus élevées sur l’art, alors qu’il pouvait prendre la frise du Parthénon tout entière, M. Cherbuliez a voulu démontrer cette double vérité : que le génie de l’artiste véritable est aussi bien dans le détail le plus mesquin que dans l’ensemble le plus imposant, qu’il n’y a pas d’objet si vulgaire ni d’être si inférieur dont la reproduction ne demande le concours de toutes les facultés de l’artiste, et qui ne puisse servir à exprimer non-seulement une ou plusieurs des lois de l’art, mais toutes ces lois réunies. Bien plus il est possible que la reproduction d’un objet ou d’un être inférieur ait le mérite de nous enseigner les secrets de la beauté mieux qu’une œuvre à intentions plus élevées ou plus ambitieuses. Un cheval tel que celui de Phidias nous révélera ces secrets, tandis qu’une figure de Minerve ou de Diane exécutée par un artiste inférieur nous laissera dans notre ignorance première. Voilà qui doit apprendre à la critique à ne pas être trop dédaigneuse, à ne pas sacrifier, sous prétexte de hiérarchie des genres et de noblesse des sujets, un modeste cheval qui nous instruit sur les secrets de l’art à une figure de déesse ou de héros qui n’a rien à nous enseigner.

Ici j’ouvrirai une courte parenthèse qui me permettra de tirer des observations qui précèdent une réflexion incidente qui les complétera. La critique aujourd’hui se soucie médiocrement d’expliquer au public les lois de l’art ; elle trouve au-dessous de sa dignité de parler de ces grandes questions à propos d’une comédie réaliste ou d’un roman à la mode, et se contente de donner en quelques mots un verdict sec et tranchant sans expliquer et même sans nommer la loi sur laquelle elle s’appuie pour rendre ce verdict. Elle semble craindre de déroger, et l’on dirait qu’elle réserve sa science esthétique pour les grandes occasions, qui ne viendront peut-être jamais. Elle peut répondre, il est vrai, que des considérations trop élevées sur les principes de l’art seraient déplacées dans l’examen des œuvres futiles ou imparfaites qu’elle est appelée à juger. Pour nous, nous sommes d’un avis tout contraire. De même qu’il n’est pas d’être ou d’objet qui ne puisse servir à exprimer la beauté, il n’est pas d’occasion qui ne soit bonne pour exprimer la vérité. Voyez plutôt M. Cherbuliez ; un cheval lui a suffi pour découvrir et passer en revue toutes les lois de l’art. À propos de ce cheval, il a démontré la nécessité de l’individualité dans l’art, ce qu’il fallait entendre