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par l’idéal, comment la réalité était nécessairement la matière première de l’artiste, ce qu’il fallait comprendre par ces mots si souvent et si légèrement répétés : imitation de la nature ; comment l’amour était l’âme de l’art, et la religion son but suprême et son glorieux couronnement. Sans doute, me répondrez-vous, cette figure n’est après tout que la figure d’un cheval ; mais elle est de Phidias, et c’est parce qu’elle est de Phidias que l’auteur a pu retrouver en elle toutes les lois de l’art et se permettre de développer ses théories esthétiques. Cela est vrai ; mais, si vous devez attendre l’apparition de tels artistes pour expliquer au public les lois du beau, il est probable que les occasions vous manqueront toujours. N’attendez pas qu’il naisse un Shakspeare pour enseigner au public les règles du drame, ni un Molière pour lui enseigner les lois du rire. C’est précisément pendant que le théâtre est vide qu’il faut préparer les spectateurs, afin que les malentendus soient plus facilement évités lorsque le rideau sera levé ; c’est précisément en l’absence des grands artistes qu’il faut faire l’éducation du public, afin que, lorsqu’ils apparaîtront, il ne les accueille point par l’indifférence, l’étonnement ou la moquerie. D’ailleurs les œuvres nous instruisent presque autant par leurs défauts que par leur beauté, et il n’est si méchant livre qui ne contienne son enseignement. Rappelez donc les lois de l’art même à propos d’une comédie réaliste, si le génie de votre époque ne livre à votre examen qu’une comédie réaliste ! Maintenant je reviens à M. Cherbuliez et à sa fantaisie esthétique.

Cette fantaisie est une œuvre aimable, d’une logique très rigoureuse et d’un enchaînement très ferme sous son apparente irrégularité. La causerie, malgré ses innombrables zigzags, va droit à son but, toute semblable à un ruisseau au cours sinueux qui ne cesse d’avancer, même alors qu’il semble s’égarer ou se ralentir. L’auteur, en l’écrivant, s’est souvenu de Platon, ainsi qu’il convenait de le faire pour louer une œuvre de Phidias en face de l’Acropole, et sur ce sol sacré où Socrate s’entretint avec Alcibiade et Aspasie. Il a fait mieux que s’en souvenir, car, en lisant certaines pages de son livre, il semble qu’on entende un écho sonore et fidèle qui renvoie aux oreilles du moderne lecteur, sans trop les affaiblir, quelques-unes de ces paroles que recueillit le jeune Phèdre sur les bords de l’Ilissus, et dont retentit la salle de ce banquet où le jeune Alcibiade fit une si folle et si charmante entrée. Toutes les idées exprimées par M. Cherbuliez sur l’amour considéré comme principe et âme de l’art ne sont qu’une gracieuse traduction des fameuses idées de Platon sur l’amour, une application délicate de cette théorie générale à une des activités particulières du génie humain. L’auteur a emprunté