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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/994

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qui se présente à la première inspection d’une grande œuvre d’art. « Il n’est personne qui, considérant ce cheval, ne se soit surpris à publier qu’il est de marbre, et, se le représentant doué de vienne l’ait admiré non comme une création de l’art, mais comme un ouvrage de la nature… Et cependant il n’est que faire de le considérer longtemps pour s’assurer qu’il est autre chose qu’une admirable copie faite d’après nature. Quant à moi, j’ai beau fouiller dans ma mémoire, je ne puis me souvenir d’en avoir vu de pareil, et je me persuade qu’il n’en existera jamais, tant il y a en lui je ne sais quelle perfection que la nature ne saurait égaler. » Ainsi donc voici un cheval qui est naturel, et qui cependant dépasse la nature ; c’est, en quelque sorte un cheval idéal, et cependant c’est un cheval réel. Il y a là une contradiction, à ce qu’il semble. L’artiste n’a pas dû prendre son modèle dans la nature, puisque nous venons de voir que la nature ne pouvait le lui fournir, et cependant il ne l’a pas pris dans sa pensée, puisque nous venons de reconnaître que ce cheval a tous les attributs de la vie et de la nature. Ce cheval n’est pas né de l’imitation laborieuse de la nature, il n’est pas né davantage d’une conception purement intellectuelle ; tout idéal qu’il soit, ce n’est pas une entité métaphysique. Phidias, pour créer ce cheval, aurait-il obéi aux règles prescrites par certains rhéteurs superficiels qui conseillent à l’artiste d’emprunter à tous les modèles qui posent devant lui ce qu’ils offrent de beauté, et qui croient que le meilleur moyen d’obtenir un ensemble irréprochable est de combiner ensemble toutes les perfections de détail qu’ils ont observées chez divers individus de même famille ? L’orateur examine rapidement cette théorie, qui soutient mal l’examen, et l’écarte aussitôt. Assurément Phidias a eu l’occasion et le loisir d’étudier, soit à Athènes, soit à Olympie, d’innombrables échantillons de la race chevaline ; mais il était trop grand artiste pour ignorer que la première loi de l’art, c’est l’unité. Il n’a pas pu prêter un instant d’attention à cette méthode à la fois enfantine et sophistique, qui, si elle était appliquée, ne pourrait produire que des monstres. Non, pour créer ce cheval idéal, il n’a pas emprunté à tel modèle la croupe, à tel autre la tête, à tel autre encore le sabot ; « car il savait de naissance, le divin sculpteur, que tout se tient dans l’art comme dans la vie, et que tout ce qui vit, tout ce qui mérite de vivre se compose, non de pièces rapportées, mais de parties intimement liées qui se supposent toutes les unes les autres, et toutes se rapportent à une même fin. » Ainsi ce cheval n’est pas une combinaison de perfections rapportées, c’est un individu dont toutes les parties sont rigoureusement unies d’après les lois de la logique, de la vie.

Pas plus que M. Cherbuliez, nous n’admettons en matière d’art la