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muniquer ce qu’il sent au lecteur. Avez-vous remarqué que la première impression de la douleur, qui est la plus violente, la plus sincère et la plus vraie, est cependant la plus confuse, la plus trouble, la plus embarrassée, la moins puissante sur l’esprit du spectateur? Le spectacle de la douleur à ce premier moment est moins touchant qu’affreux; les paroles arrachées par le désespoir et en même temps refoulées par les sanglots sortent des lèvres anarchiquement, d’une manière incohérente, sans choix, sans ordre, tantôt trop pressées, tantôt trop languissantes, en sorte qu’une certaine impatience s’unit chez le spectateur à la pitié qu’il ressent. On pleure trop d’ailleurs, les larmes rougissent les yeux, altèrent la beauté des traits, et le spectateur, bienveillant et charitable comme tous les hommes sont bienveillans et charitables, c’est-à-dire jusqu’à concurrence de leur plaisir, trouve que les larmes enlaidissent, et détourne la tête. Ce n’est que plus tard, lorsque les larmes seront séchées, que la violence de la première douleur sera apaisée et qu’il ne restera plus d’autres traces de l’ancien désespoir qu’une tristesse inexprimable, que ce visage sera intéressant et aimable à regarder. Mme Desbordes-Valmore ignora toujours ces secrets, et crut, à son honneur, que la poésie devait être plus sincère. La poésie joua chez elle le même rôle que les larmes; elle fut une issue que la nature ouvrit pour donner passage aux sanglots qui l’étouffaient. Elle chanta, parce qu’il faut bien crier quand on souffre et pleurer quand les larmes vous étouffent. Sa poésie est donc, dans toute la force de l’expression, un acte de la nature. Il y en a de plus brillantes et de plus ornées, il n’y en a pas de plus sincères et de plus pathétiques.

Mme Desbordes-Valmore avait été comédienne par besoin et par devoir plutôt que par goût et par inclination, et elle nous a appris elle-même dans des vers touchans les mécomptes amers qu’elle avait rencontrés dans cette carrière :

L’infortune m’ouvrit le temple de Thalie;
L’espoir m’y prodigua ses riantes erreurs,
Mais je sentis parfois couler mes pleurs
Sous le bandeau de la folie!...
Charmante muse, objet de mépris et d’amour.
Le soir, on vous honore au temple,
Et l’on vous dédaigne au grand jour.
Je n’ai pu supporter ce bizarre mélange
De triomphe et d’obscurité,
Où l’orgueil insultant nous punit et se venge
D’un éclair de célébrité.

Cette profession ne pouvait convenir à son âme, et elle n’a laissé aucune empreinte sur son talent. Mme Desbordes-Valmore n’a rien