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engendrent une exigence intolérable qui décourage l’amour; mais ces âmes ne détruisent ainsi en germe toutes leurs chances de bonheur que par la certitude et la foi pour ainsi dire religieuse qu’elles ont au malheur. Le malheur fut leur première religion, la divinité qu’on ne discute pas, celle que l’on nomme et qu’on implore; le bonheur n’est pour elles qu’une utopie religieuse, le dieu inconnu qu’on n’a pas servi et qu’on ne connaît pas. Aussi restent-elles scrupuleusement fidèles à cette religion première; tout ce qui réjouit les autres âmes les blesse et les fait souffrir, et elles ne trouvent que des sources nouvelles de tourment là où les autres trouvent la consolation et l’oubli de leurs peines.

Telle fut Mme Desbordes-Valmore; on la voit, sans qu’elle en ait conscience, s’acharner après son bonheur : par ses plaintes et ses appréhensions, elle provoque l’infidélité et l’ingratitude. Elle désire ardemment d’être aimée, et au moment même où elle le désire, elle ne peut croire qu’elle le soit. Comme toutes les personnes malheureuses, elle dit de l’amour ce que les personnes corrompues et vicieuses disent de la vertu : C’est trop beau pour être vrai. Et quand elle a provoqué l’infidélité ou l’abandon, elle succombe sous le poids de la déception qu’elle s’est préparée elle-même. Alors arrivent les consolations que lui présente l’amitié, et au lieu de les prendre comme elles doivent être prises, comme une distraction et une preuve que, pour avoir perdu un cœur, on n’a pas tout perdu, elle trouve moyen de s’en faire une nouvelle passion et un nouveau chagrin. Et lorsqu’enfin elle cherche un refuge dans ce suprême asile du cœur féminin, l’amour maternel, son bonheur encore n’est pas sans mélange. Elle en ressent plus vivement les souffrances que les joies. Il faut se séparer un jour de ce cher fils, dont la candeur a été surveillée avec tant de sollicitude. L’aimera-t-il encore au retour comme il l’aimait autrefois?

Candeur de mon enfant, on va bien vous détruire!


Alors elle tombe à genoux et lève les yeux vers l’image de la mère dont le cœur fut percé des sept glaives. Heureuse encore quand la séparation n’est que temporaire ! Mais il arrive que les enfans ne sont quelquefois prêtés aux mères que pour un instant, et qu’ils partent en les laissant inconsolables. Alors la voix de la mère fait entendre une plainte si prolongée et si douce, qu’on est tenté de trouver ces petites créatures bien ingrates, puisqu’elles ne répondent pas à cet appel, ou la Providence bien cruelle, puisqu’elle ne leur permet pas de revenir au nid qu’elles ont quitté.

Je ne dis rien de toi, toi, la plus enfermée.
Toi, la plus douloureuse, et non la moins aimée,