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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/1015

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Toi, rentrée en mon sein, je ne dis rien de toi
Qui souffres, qui te plains et qui meurs avec moi.

Le sais-tu maintenant, ô jalouse adorée,
Ce que je te vouais de tendresse ignorée?
Connais-tu maintenant, me l’ayant emporté.
Mon cœur qui bat si triste et pleure à ton côté?

Ce n’est pas assez de tortures encore, il faut que le deuil soit plus complet. La dernière et suprême infortune, c’est de ne pouvoir oublier. Le malheur a une longévité qui lui est propre; il se dédouble en quelque sorte et se perpétue par le souvenir, vivace comme au premier jour. Nul n’a plus connu cette perpétuité du malheur que Mme Desbordes-Valmore. Il y a chez elle un détail poétique remarquable qui achèvera de peindre la tristesse de sa physionomie. Elle a tellement l’habitude de la douleur qu’elle se demande si elle pourrait jamais la désapprendre. « Si j’avais besoin de sourire, comment ferais-je? » se demande-t-elle. Elle craint que sa tristesse ne la poursuive même au-delà de la tombe. Elle sent une secrète honte à l’idée de paraître devant Dieu avec la physionomie que lui a faite la vie. Ne pouvoir s’écrier triomphalement avec l’apôtre : « O mort, où est ton aiguillon? ô sépulcre, où est ta victoire? » redouter d’être poursuivie par le malheur jusqu’au sein de la vie bienheureuse, et sous l’aile de Dieu, c’est là vraiment la dernière limite où puisse atteindre le découragement d’une âme chrétienne.

Si je pouvais trouver un éternel sourire.
Voile innocent d’un cœur qui s’ouvre et se déchire.
Je retendrais toujours sur mes pleurs mal cachés,
Et qui tombent souvent par leur poids épanchés.

Renfermée à jamais dans mon âme abattue.
Je dirais : « Ce n’est rien » à tout ce qui me tue.
Et mon front orageux, sans nuage et sans pli,
Du calme enfant qui dort peindrait l’heureux oubli.

Adieu, sourire, adieu jusque dans l’autre vie.
Si l’âme du passé n’y peut être suivie!
Mais si de la mémoire on ne doit pas guérir,
A quoi sert, ô mon âme, à quoi sert de mourir?

Ce sentiment amer revient par intervalles dans ses poésies inédites, qui nous la montrent pourtant apaisée et sereine, autant qu’une pareille âme pouvait le devenir. « Je voudrais oublier afin de pouvoir sourire, » dit-elle, et cependant ce volume d’outre-tombe montre qu’elle n’aurait pas voulu être prise au mot. Par une de ces contradictions qui sont naturelles au cœur humain, elle chérit ces souvenirs qu’elle demandait tout à l’heure à oublier, elle les berce amoureusement et les nourrit de tendresse. Avec le temps, ils ont