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meau. Tout dormait dans le village. On ne voyait de clarté que derrière une fenêtre à l’angle d’une vieille maison tapissée de vigne et de rosiers. Marthe regardait cette fenêtre ; elle se souvint que c’était là qu’habitait Valentin. Pourquoi veillait-il ?… Les villages qu’on traverse la nuit ont des aspects mélancoliques que n’ont pas les campagnes, où le silence est en harmonie constante avec l’espace. L’enfant ne court pas dans la rue animée par les jeux qui suivent la sortie de l’école ; la poule et le pigeon ne cherchent plus le grain épars dans la poussière ; point de coq bruyant battant de l’aile sur une meule de paille pillée par une bande de moineaux, point de chien dormant au soleil et dont la queue frétille sur le passage du maître, point de vache à l’abreuvoir, point de filles étendant le linge mouillé sur les haies. L’essieu de la charrette ne crie pas ; on ne voit pas le sabotier sur le seuil de sa maison ni la ménagère au coin de son feu : la vie semble s’être retirée des chaumières, le bruit et le mouvement sont morts. Marthe s’assit sous le grand arbre, tout entière à cette impression. Le frisson l’avait prise ; c’était moins le froid qu’un trouble intérieur. Elle s’était vaincue elle-même, elle ne regrettait pas cette victoire, mais ne savait pas encore si elle était soumise. Où elle cherchait les sentimens de la mère, elle sentait les tressaillemens de la femme. Poussée par un mouvement de l’âme où la réflexion n’avait point de part, Marthe venait de glisser sur ses genoux aux pieds de l’image populaire, lorsqu’elle entendit marcher auprès d’elle. Ce pas était en quelque sorte amical et doux ; elle se retourna sans effroi et aperçut Valentin.

— Ce n’est pas une pensée indiscrète qui m’amène, dit-il ; je vous ai vue passer tout à l’heure, vous veniez de la plaine,… je vous ai reconnue. Peut-être n’aurais-je pas quitté ma chambre, si je ne vous avais vue vous perdre sous cet ombrage… La nuit est froide… J’ai craint pour vous… Le corps est faible quand le cœur n’est pas content.

— Merci, mon pauvre Valentin, répondit Marthe, qui ne retint pas ses larmes.

— Que ma présence ne vous gêne pas… Si vous étiez en prière, continuez et priez pour moi. La place me connaît… Je sais ce qui se passe en vous… Quand le cœur est trop plein, il faut qu’il s’épanche comme une eau qui coule.

Cette fois Marthe, un peu surprise, releva le front, et regarda le tailleur d’images.

— Cela vous étonne, ce que je dis, reprit Valentin. Que de choses on apprend à deviner quand on ne parle pas ! Vous êtes une bonne créature du bon Dieu, vous donnez votre cœur en pâture aux autres, et les autres, ceux qui le déchirent, ne s’en aperçoivent même pas !