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Marthe, bouleversée, détourna la tête ; une larme silencieuse coula sur sa joue, ce fut la dernière qu’elle versa.

Cependant elle avait oublié Valentin. Le dévouement lui-même a son égoïsme. Il semblait à Mlle de Neulise qu’il n’y avait plus rien au monde après Marie et Olivier. Un incident lui rappela le tailleur d’images. Quelque temps s’était passé. M. de Savines était uni à Marie. Un jour, Marthe aperçut Francion qui abattait un arbre à grands coups de hache ; jamais on n’avait manié la cognée avec une si frénétique ardeur. Un éclat de bois volait à chaque coup. Marthe s’approcha en riant : — Çà ! dit-elle, que vous a fait ce pauvre tronc mort ? on dirait que vous lui en voulez.

— Moi, dit Francion, j’ai que Valentin s’en va !… J’enrage, et je frappe cet arbre pour que la colère s’en aille aussi.

— Ah ! reprit Marthe, Valentin s’en va !

L’histoire de cette nuit qu’elle avait passée sous l’orme de La Villeneuve lui revint à la mémoire ; elle se troubla. Francion jeta sa cognée brusquement. — Voici Valentin, il vous expliquera lui-même pourquoi il part, dit-il ; moi, je vais prendre mon fusil et faire un tour au bois… Eh ! Jacquot, ici !

Francion siffla son chien et s’éloigna à grands pas. L’arbre qu’il avait frappé tomba entraîné par son propre poids.

Valentin s’avançait en effet le long d’un sentier ; il marchait lentement, comme une personne qui hésite. Un sentiment indéfinissable empêchait Marthe de remuer : elle craignait, en quittant sa place, de blesser ce pauvre cœur endolori ; elle vit le compagnon de son enfance s’arrêter un instant et regarder en arrière. Malgré elle, Marthe lui fit signe d’approcher. Valentin s’avança rapidement. — Si je ne me hâtais pas, dit-il, je n’oserais jamais… Il faut cependant que vous entendiez ma confession.

Un peu de fièvre brillait dans ses yeux ; il osait à peine regarder Mlle de Neulise. — Vous m’aviez dit un soir, reprit-il, que La Grisolle me serait toujours ouverte… J’y suis allé une fois, deux fois… Personne ne m’a reçu…

— Ma sœur se mariait, répondit Marthe.

— Ne vous excusez pas ; ce que vous faites est bien fait… Malheureusement le mal dont je souffre n’a fait qu’empirer. Les raisonnemens n’y peuvent rien… Il faut que je prenne un parti, je sens bien qu’ici je ne guérirai jamais. Je m’en vais donc.

Valentin soupira. Il semblait épuisé par l’effort qu’il faisait. Marthe se sentit touchée par cet accablement, mais elle ne savait que lui dire ; pour la première fois de sa vie, elle ne trouvait pas les mots qui connaissent le chemin du cœur.

— Je me suis promis de tout vous dire, continua Valentin ; vous