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les yeux. Sa sœur survint en ce moment. — Mais c’est toi ! s’écria Marie en regardant la statuette.

Mlle de Neulise fit un geste de la main comme pour la rendre ; le regard de M. Favrel devint si suppliant qu’elle la garda.

Pendant toute la nuit, elle pensa au tailleur d’images ; la statuette était devant elle sur le coin de la cheminée ; la clarté d’une veilleuse lui permettait de la voir. Elle se souvint des nuits qu’elle avait passées sans sommeil dans les premiers temps où elle s’appliquait à rapprocher Olivier de Marie. Elle fit un retour sur elle-même et sur Valentin. En un instant, son visage fut couvert de larmes. — Ah ! qu’il a dû souffrir ! se dit-elle.

Trois jours se passèrent ; rien ne paraissait changé dans la vie et l’humeur de Mlle de Neulise. Elle était égale et tranquille ; on l’entendait chanter quelquefois tout en vaquant aux mille occupations qu’elle avait l’art de se créer. — Bon ! tout va bien,… L’oiseau gazouille, disait Olivier. Marthe pensait tout bas que si l’on ne chantait pas, on pleurerait peut-être. Elle s’étonnait de n’avoir pas vu Valentin. Quelque chose lui disait cependant que s’il était parti, elle en aurait été avertie.

Un matin, après le déjeuner qu’on avait pris en plein air sous les arbres, un homme se présenta : il portait un sac sur le dos et un bâton à la main. C’était Valentin : il était fort pâle. Marthe devint toute blanche en le regardant ; le père Favrel le suivait tout décomposé. — Il veut s’en aller à pied, dit-il.

— Mademoiselle, vous m’avez ordonné de vous faire mes adieux : me voilà ! ajouta Valentin, qui s’appuya des deux mains sur son bâton.

Un mouvement de tendresse et de pitié pénétra le cœur de Marthe. — Êtes-vous bien sûr de ne rien oublier en partant ? dit-elle.

Valentin attacha ses yeux sur elle d’un air surpris. — Demandez donc à M. Pêchereau, qui nous écoute, poursuivit-elle, si ma main est libre. Selon ce qu’il vous dira, nous pourrons nous entendre.

Le bâton s’échappa des mains de Valentin. — Ah ! mademoiselle ! dit-il.

Il voulut continuer, ne put pas, tomba à genoux devant Marthe et fondit en larmes.

— Voilà qui vaut mieux que cent paroles… Prenez ma main ! s’écria Mlle de Neulise, dont le sang animait les joues.

Tout le monde était levé. — Soyez heureuse ! dit Olivier.

— Je le serai, mon frère,… embrassez-moi !…

C’était la première fois depuis le mariage de sa sœur que Marthe embrassait Olivier.


AMEDEE ACHARD.