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duits qui sortent de leurs mains. Ces fleurs en papier ou en batiste luttent de fraîcheur et d’éclat avec celles de nos parterres. C’est l’industrie parisienne par excellence. C’est à Paris que les jolies femmes des deux mondes achètent les fleurs qu’elles mêlent à leurs cheveux. L’Italie a eu d’abord le premier rang pour les fleurs artificielles comme pour les étoffes de soie, les dentelles et les miroirs; Lyon a succédé à l’Italie; aujourd’hui la flore parisienne est sans rivale. Près de six mille ouvrières vivent à Paris de cette fabrication. Les plus habiles sont de véritables artistes, qui étudient avec amour les fleurs naturelles, et les reproduisent avec plus de fidélité que les meilleurs peintres. Les salaires s’élèvent à 3 francs et ne tombent pas au-dessous de 2 francs pour une journée de onze heures. Une fleuriste peut vivre dans de telles conditions, quand il ne lui prend pas fantaisie d’essayer elle-même les guirlandes qu’elle a tressées et d’aller les montrer au bal.

On comprend que Paris soit le pays des fleuristes; mais par quelle bizarre anomalie la taille des pierres précieuses s’est-elle établie à Septmoncel, sur le sommet d’une montagne du Jura? Le diamant se taille à Amsterdam à l’aide de puissantes machines et dans de vastes ateliers, comme il convient au plus riche joyau de la terre; le reste de nos pierreries, rubis, saphirs, émeraudes, aigues-marines, améthistes, opales, tous ces hochets du luxe et de la folie sont taillés et polis au fond d’un désert par une population de montagnards intègre et indigente[1]. Ces rudes enfans du Jura restent fidèles à l’industrie et aux mœurs de leurs pères, et toutes ces richesses qui passent par leurs mains ne leur font pas trouver leur chaumière plus froide et leur pain plus dur. Ils ont fait depuis peu quelques conquêtes dans les industries collatérales : les femmes fabriquent les pierres fausses avec une habileté sans pareille; elles percent des rubis pour pivots de montres; elles commencent même à faire des mosaïques avec des pierres envoyées de Florence. L’établi est placé dans la cabane, auprès de la fenêtre; le père, la mère, les enfans, travaillent à l’envi, quand les soins du ménage, le bois à fendre dans la montagne, ou quelque maigre coin de terre à ensemencer, ne les détournent pas de leur travail industriel. Les femmes qui taillent des rubis gagnent souvent d’assez bonnes journées; néanmoins les salaires supérieurs à 1 franc 50 c. sont tout à fait exceptionnels. La moyenne est de 75 centimes.

Une industrie assez importante, qui se rapporte aussi à la toilette des femmes, c’est la fabrication des chapeaux de paille. Nancy est un des grands centres de ce commerce. La plupart des chapeaux

  1. Voyez, sur les lapidaires de Septmoncel, la Revue du 15 mai 1859.