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times ; les deux autres, qui font la valenciennes telle qu’on l’imite en Belgique, gagnent un peu plus, 1 franc 50 centimes par journée de douze heures. Arras fabrique une assez grande quantité de dentelles communes; les dentellières d’Arras, exclusivement occupées de leur métier, sont en général pauvres et ignorantes.

Le point d’Alençon s’obtient dans des conditions tout autres. Tandis qu’à Valenciennes la même ouvrière fait le réseau et la fleur, les ouvrières qui font le point d’Alençon se divisent en plusieurs catégories. On distingue les traceuses, les réseleuses, qui font le réseau ou filet, les remplisseuses, qui font les mats, les foncières, qui font les mats plus grossiers, les modeuses, qui font les jours, les brodeuses, qui font le petit cordonnet destiné à entourer et soutenir les dessins. Un apprentissage de trois mois suffit à ces diverses ouvrières, et pourvu qu’elles ne s’alourdissent pas la main par des travaux fatigans, elles peuvent vaquer à tous les soins du ménage; la dentelle se prend, se quitte et se reprend comme un tricot ou une broderie. Elles gagnent toutes en moyenne 1 franc par jour, environ 10 centimes par heure. Le nombre de celles qui peuvent gagner 12 et même 14 centimes est très restreint. Une dentellière n’a pour tout attirail que son carreau, ses fuseaux et ses épingles. Tantôt les jeunes filles travaillent isolément, tantôt elles se réunissent pour causer tout en agitant leurs fuseaux. Le soir elles forment de petits ateliers pour économiser les frais d’éclairage. C’est un joli travail, qui donne des instincts d’élégance à celles qui s’en occupent, et qui contribue à l’aisance de la famille, à la propreté, à l’agrément de la maison. Les raccrocheuses et les repriseuses de dentelles forment une branche intéressante de la grande famille des ouvrières à l’aiguille. La dentelle est une des rares victoires du travail à la main sur le travail à la mécanique; on a eu beau s’évertuer, la machine n’a pu encore produire que du tulle. On sait quels furent les efforts de Colbert pour l’emporter sur Venise dans la fabrication des dentelles. Il eut recours, selon le système du temps, à l’établissement d’un privilège. On lui résista; il fut sur le point de faire marcher un régiment contre les dentellières d’Alençon. Aujourd’hui nos ouvrières ont peine à se soutenir contre la concurrence belge. Les dessins viennent de Paris, qui a le monopole du goût; mais la main d’œuvre se fait aussi bien et à plus bas prix au-delà de nos frontières.

Il faut, à propos de ces gracieuses merveilles qui parent les femmes mieux que les joyaux, mentionner les ouvrières qui préparent les plumes, plumes d’autruche, de marabout, de héron, d’oiseau de paradis, et celles qui font des fleurs avec du papier, du taffetas ou de la percale. Il y a quelque chose de gai et de jeune dans ce seul nom de fleuristes, et rien n’est plus charmant que les pro-