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L’enquête de 1851 en comptait 2,000; avec l’accroissement de la population et les progrès insensés du luxe, il est hors de doute que cette industrie doit occuper un personnel plus nombreux. On donne aujourd’hui à une ouvrière tapissière 1 franc 75 centimes par jour, prix invariable, et 2 francs, si elle est doubleuse, parce que le travail de doublage se fait debout. En défalquant la morte saison, cette industrie, qui est comptée parmi les meilleures, suffit à peine pour nourrir les femmes qui s’y livrent.

Tout ce qui dans le monde civilisé a des prétentions à l’élégance suit les modes de Paris. Les dames de New-York commandent leurs robes à nos couturières, leurs parures de bal à nos fleuristes, leurs diamans à nos lapidaires. Quand le sultan Mahmoud voulut se rendre populaire dans la plus charmante partie de son empire, il permit aux dames turques de s’habiller à la française; son fils fait meubler ses appartemens par nos tapissiers. On peut avoir de l’habileté ailleurs; c’est ici seulement que l’on a du goût. Puisque l’aiguille n’est pas notre unique supériorité, nous pouvons bien avouer que notre aiguille n’a pas de rivale. Paris est le principal centre de la fabrication pour les modes, les robes et les habits; il faut y ajouter les corsets, article très délicat et très important. Il n’est que l’entrepôt de la ganterie et de la broderie, qu’il fait confectionner au dehors d’après ses caprices et ses modèles. Il n’y a guère que la cordonnerie qui lui échappe. Il permet au reste du monde de se chausser à sa guise.

Il y a trois parties dans le travail de la ganterie[1] : couper le gant, le coudre, le finir, c’est-à-dire l’ourler, le broder, faire la boutonnière et mettre le bouton. Ce sont des hommes qui coupent le gant. Depuis fort peu de temps, on emploie en fabrique à Grenoble quatre ou cinq cents femmes, qui placent le gant sur le calibre ou main de fer, le fendent à l’aide d’un balancier, et le préparent pour le donner à la couture. Ce n’est pas un travail pénible. Les ouvrières sont à leurs pièces et reçoivent 20 centimes par douzaine Elles peuvent ainsi gagner de 45 à 70 francs par mois, selon leur habileté et le temps qu’elles donnent au travail. Les couseuses sont moins favorisées. Le prix payé à l’entrepreneuse de couture pour une douzaine de paires de gants de femme à un bouton est de 4 fr. 50 cent. (25 cent. de plus pour deux boutons). L’entrepreneuse prélève 50 cent.; la soie, pour une valeur de 50 cent., est à

  1. La ganterie n’occupe pas moins de 12,000 ouvrières dans le seul département de l’Isère. La fabrique de Grenoble compte environ 1,200 ouvriers coupeurs, faisant en moyenne 450 douzaines par an, soit 540,000 douzaines. Cette production, à raison de 30 f. la douzaine, représente chaque année une valeur de 16,200,000 fr. Par ce seul exemple on peut juger de l’importance de la fabrication et des affaires pour toute la France.