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nous la république? Et l’on fait un traité où l’on dit : La république française consent que l’empereur prenne Venise et son territoire (art. 1er), et l’empereur consent que la république prenne le reste (art. 2). — Pulito !

«... Et lorsqu’un plénipotentiaire français (tenez ceci pour aussi sûr que si vous l’aviez ouï) disait aux conférences de Lunéville : Il faudra cependant penser à placer le roi de Sardaigne de quelque manière, et qu’un plénipotentiaire du cabinet répondait : Et quelle nécessité qu’il y ait un roi de Sardaigne ? Dieu nous préserve de soupçonner que la maison entre pour quelque chose dans cette pensée aimable! — qui, moi?

«... N’est-ce pas que ce petit tableau, quoique simple miniature, ne laisse pas que d’être joli? Mais songez donc que tout cela n’est rien, que je ne vous cite que les jeux du cabinet, et que je n’ai pas entamé ses exploits? J’espère donc qu’après avoir établi solidement ma distinction fondamentale entre la maison et le cabinet, fondée sur les règles les plus pures de l’architecture, et après avoir protesté de mon sincère et profond respect pour la maison, sa majesté ne daignera point se fâcher, quelles que soient ses liaisons avec elle, si, lorsque je rencontre le cabinet sur ma route, il m’arrive de lui donner quelques coups de ma plume pointue. » — Et Joseph de Maistre termine cette longue ironie par ce trait sanglant : « — J’aurai toujours soin de l’essuyer ! »

Plus tard, en décembre 1812, Joseph de Maistre adresse au roi un long mémoire sur la situation et les intérêts de la Sardaigne. Se plaçant dans l’hypothèse de la « mort naturelle ou politique » de Napoléon, au point de vue de la paix par conséquent, il examine les prétentions probables de l’Autriche. Les faits ne tardent point à parler et à lui inspirer de plus positives réclamations. Déjà, en avril 1814, sa défiance est éveillée par la situation faite à l’ex-impératrice des Français, l’archiduchesse Marie-Louise : « L’Autriche, écrit-il au roi, a obtenu des choses si prodigieuses et si contraires au bien général, qu’il faut absolument croire ou que les nouvelles sont fausses ou qu’elles n’annoncent qu’une comédie. Parme et Plaisance donnés à l’auguste compagne de Bonaparte, c’est beaucoup sans doute, et l’on ne ferait pas davantage pour sa propre femme; toutefois, en admettant la convenance et même la nécessité de donner une consolation si marquante à une si respectable infortunée, il est cependant vrai que votre majesté n’avait nullement besoin de cette nouvelle muraille élevée sur ses frontières. »

Mais c’est surtout le traité du 30 mai 1814 qui excite sa colère et son indignation. On verra plus loin ce qu’il dit de la France; quant aux stipulations que ce traité contient relativement aux possessions sardes, elles sont pour lui « une énigme ou un forfait! » — « Je le lis, je le relis, et je crois à peine savoir lire. Le sort de ma malheureuse Savoie est terrible, et s’il était permis, dans ces sortes de cas, de penser aux malheurs particuliers, je vous parlerais du mien. Qui m’eût dit que la grande restauration confirmerait ma perte en me rendant également étranger à la France, à la Savoie et au Piémont? C’est cependant ce qui est arrivé. » Dans une note adressée au comte de Nesselrode, il s’exprime ainsi : « Qu’un souverain tel que le roi de Sardaigne, ennemi et victime illustre de la révolution, ami des alliés, et non-seulement connu, mais fameux par ses principes, qu’un tel souverain se