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choisie, la conciliation des divers systèmes littéraires qui se sont succédé de notre temps. En lui se sont unies naturellement et sans effort les doctrines les plus diverses ; toutes ont été pour lui des préceptrices bienveillantes, et il n’a eu à subir, pour comprendre leurs leçons, ni tyrannie ni contrainte. Toutes leurs influences se sont insinuées dans son esprit, et s’y sont mêlées pour composer ce talent comparable à ces bouquets d’essences que recherchent les connaisseurs en parfums, dont l’arôme compliqué sait chatouiller le cerveau finement sans révolter les nerfs, et provoquer la sensibilité sans étourdir et obscurcir l’âme. Il est romantique par imagination, sensé par caractère, et l’on pourrait parfois le nommer un réaliste sans le savoir. Je ne sais si cet éclectisme trouvera jamais une expression plus vigoureuse de lui-même, mais il pourra difficilement en trouver de plus heureuse et de plus aimable; les œuvres de M. Feuillet sont vraiment le baiser Lamourette des doctrines dramatiques en lutte. Cet éclectisme n’enlève rien à l’originalité de l’auteur. Les écoles les plus opposées sont obligées de le saluer ; il n’en est aucune qui pourrait le réclamer comme lui appartenant, ou qui voudrait consentir à voir en lui un ennemi. Ses détracteurs (il en a) voient dans cet éclectisme le résultat d’un habile calcul et d’une prudence pratique qui ne veut rien hasarder qu’à coup sûr; mais ce reproche calomnieux tombe devant ce fait, que les pièces auxquelles M. Octave Feuillet doit son succès n’ont pas été composées pour le théâtre, et n’ont été transportées à la scène que bien longtemps après qu’elles avaient été goûtées par tous les lecteurs délicats. Non, ce succès, qui s’expliquerait déjà par le talent de l’auteur, a une cause plus profonde que l’habileté et la prudence du poète. Son talent correspond exactement à la disposition actuelle de l’esprit du public. Le public, qui depuis trente ans a fait tant d’expériences contraires, est las des systèmes exclusifs. Il ne croit à la vérité dramatique absolue ni du théâtre romantique, ni du théâtre réaliste, ni de l’imitation de l’ancien drame français. Il est las de la tyrannie de chacun de ces systèmes, et cependant, tout en rejetant leur domination exclusive, il ne voudrait en abandonner aucun. Il ne veut pas qu’on l’étouffe sous les fleurs poétiques, mais il sait désormais que la poésie a ses droits, et il est heureux de la voir s’épanouir en langage choisi dans les pièces de M. Feuillet. Il sait que les droits de l’imagination n’autorisent pas les infractions aux règles du sens commun, et il remercie M. Feuillet de respecter ces règles sans l’ennuyer et d’être sensé tout en restant amusant. Enfin les réalistes lui ont donné l’habitude des spectacles les plus violons, et, blasé en même temps qu’instruit par des émotions qu’il n’acceptait qu’avec lutte, il applaudit de bon cœur au spectacle de réalités qu’il peut contempler sans répugnance. Voilà la vraie cause du succès de M. Feuillet; le public est en parfaite sympathie d’âme avec le poète. Il a subi toutes les influences que le poète lui-même a subies, et, quoiqu’il se soit lassé de toutes et qu’il les ait rejetées, il lui est pourtant resté quelque chose de chacune d’elles. Il est romantique, réaliste, classique à la manière de M. Feuillet. Il rencontre un poète qui a subi les mêmes influences et traversé les mêmes expériences que lui ; il le salue et l’applaudit.

Jamais succès ne fut donc plus légitime, ni plus naturel. Cependant je ne puis m’empêcher de féliciter M. Feuillet sur l’heureuse étoile qui protège