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pouvons bien, sous vos yeux, Alswitha et moi, échanger quelques mots en particulier?... Miss Sherer parut de cet avis, car elle s’écarta tout aussitôt; puis, m’emmenant dans une embrasure de croisée: — Mon enfant, me dit-il avec un sérieux qui m’étonna, comment êtes-vous traitée?... Dites-le-moi sans réserve!... J’entonnai aussitôt les louanges de miss Sherer, mais il m’interrompit : — Miss Sherer, à la bonne heure. Aimez-la, puisqu’elle vous aime... Mais les autres?... Je répondis, non sans quelque hésitation, que ma mère était pour moi ce qu’elle avait toujours été,... que je voyais rarement M. Wyndham, autrement qu’au dessert, quand on nous amenait, Emmeline et moi, de la nursery, et encore ne dînait-il guère à la maison... — Oui-da, dit Godfrey, fronçant encore le sourcil,... c’est bien ce qu’on m’a déjà raconté... Voyant à ces mots que je levais sur lui des yeux étonnés, il reprit ensuite avec plus de calme et un accent plus affectueux : — Jusqu’à présent, grâce à miss Sherer, tout me paraît aller assez bien... Je n’ai donc qu’à vous recommander d’être bien sage et de bien travailler jusqu’à mon premier retour à terre... Et... si je ne revenais pas... ou si, d’ici à une dizaine d’années, nous ne pouvions nous revoir,... rappelez-vous, quoi qu’il arrive, que vous ne devez jamais,... jamais, entendez-vous bien,... accepter pour mari un des parens de cet homme,... un Wyndham quelconque, frère, neveu, cousin, peu importe... Ils feront d’Emmeline ce qu’ils voudront... C’est leur affaire, elle leur ressemble tant... Mais la fille de mon père, l’héritage de mon père ne doivent, à aucun prix, tomber dans les mains d’aucun de ces misérables mendians. Rappelez-vous bien, Swithy, que si vous épousez un Wyndham, vous ne serez plus ma sœur.

— Jamais, frère, jamais! je m’y engage! m’écriai-je avec un véritable enthousiasme. J’étais fière en effet de donner ainsi des droits sur moi au seul être qui jusqu’alors m’eût témoigné une affection sincère et durable, à celui que j’aimais le mieux au monde. Il me paya de ma docilité passionnée par un tendre baiser, et la tête appuyée sur son épaule, j’allais, je crois, me laisser aller à le questionner sur les causes de notre séparation, lorsqu’une voiture s’arrêta devant la porte. Il la reconnut, et avec un tressaillement douloureux quitta la fenêtre où nous étions assis. Un instant après, on annonçait que u mistress Wyndham attendait en bas miss Sherer et miss Lee. »

En me dégageant de la dernière étreinte dans laquelle Godfrey m’avait tenue embrassée, j’entendis à mon oreille ces mots prononcés tout bas, mais avec une rare énergie : «Songez à votre promesse ! » J’avais grand’peur que ma mère ne me questionnât sur ce qui venait de se passer; mais de toute la promenade elle n’ou-