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D’un autre côté, l’orgueil que je connais à mon frère me paraît une sûre garantie qu’il n’a jamais pu descendre à certaines basses extrémités. Mon père avouait un jour devant moi que, « depuis le mariage d’Owen, il ne lui était rien revenu contre ce malheureux. » Cependant il n’a jamais voulu le recevoir en grâce, et son testament prescrivait à mon tuteur de ne point souffrir que je le fréquentasse pendant ma minorité. Voilà comment il se fait que vous ne m’ayez jamais vu chez votre mère avant mon entrée dans l’armée.

Après ces explications réciproques, sur lesquelles nous ne voulûmes jamais revenir, nos relations, sans rester aussi librement familières qu’à leur début, reprirent en partie l’intimité qui en faisait le charme. Aussi le départ de Hugh me laissa-t-il des regrets certes bien inattendus. Retombée dans cet isolement auquel je me croyais pour toujours faite, jamais je n’avais trouvé les journées si longues, jamais si monotones les passe-temps destinés à me les rendre supportables. — Si j’épouse Rosa Glynne, et que j’aie une résidence convenable à vous offrir, m’avait dit Hugh, si par exemple nous étions envoyés à Corfou, comme il y a tout lieu de le supposer, ne viendriez-vous pas y vivre avec nous? — Eh! lui avais-je répondu, m’y laisserait-on aller? — Maintenant ce projet insensé me revenait sans cesse à l’esprit; la mer d’Ionie, le soleil d’Orient, charmaient ma pensée; je rêvais je ne sais quel idéal « de vie à trois» où j’apportais mon contingent de dévouement industrieux, d’affection reconnaissante. Rosa Glynne remplacerait la sœur que la mort m’avait enlevée. Hugh Wyndham serait non certes «mon oncle,» comme il l’avait dit, mais un frère tendre, indulgent, plus doux, plus compatissant que l’inflexible Godfrey. Quand j’avais bien caressé ces chimériques visions, Bampton-Chase m’était odieux malgré ses magnifiques ombrages et ses sites pittoresques. Aussi fus-je très peu satisfaite de voir décliner, sous de vains prétextes, l’invitation que m’apportait mon bon oncle Haworth d’aller passer quelques semaines avec sa femme et ses filles. Le frère de ma mère était un excellent homme, un peu borné, très bavard, et dans les entretiens que nous eûmes à l’occasion de ce refus, sa mauvaise humeur contre son beau-frère le rendant moins discret que de coutume, je fus mise au courant de certains faits qui ne pouvaient qu’ajouter à mon aversion pour M. Wyndham, et me montrer sous un jour plus triste encore l’avilissante soumission de ma mère aux volontés de son second mari.

J’appris donc qu’à l’époque de la mort d’Emmeline, mistress Wyndham, conseillée on devine par qui, avait voulu profiter de quelque léger défaut de forme dans une des clauses du testament de mon père pour réclamer, comme héritière naturelle de sa fille, ce tiers