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dans le lointain des âges, des humbles et tristes vulgarités, laisser de soi un idéal, que faut-il de plus pour rehausser et remettre à sa place la nation romaine ?

Cela me suffit ici; pourtant il est encore une proposition sur laquelle je ne puis être d’accord avec M. O’Connell, celle où il dit que les Romains atteignirent l’unité de leur empire à travers des siècles de sang et de crimes. Je la concevrais, sans l’approuver, chez un moraliste qui, n’ayant pour se diriger qu’un point de vue abstrait, transporterait dans le passé des appréciations absolues, et jugerait ce qui se fit par ce qui de son temps doit se faire; mais si la morale même est relative, à plus forte raison l’historien est-il tenu d’estimer les choses conformément à ce qu’elles purent être suivant les temps, les lieux et le développement de l’histoire et de la civilisation. Or la guerre est une de ces fatalités attachées par la condition des choses aux premières phases de l’évolution du genre humain, fatalité qui décroît de jour en jour, et dont la philosophie sociale prévoit l’extinction, mais qui alors eut sa raison d’être dans la nature de l’homme et sa pleine action dans l’histoire. S’emporter contre elle serait comparable à la colère du naturaliste qui, étudiant les animaux condamnés à se nourrir d’une proie vivante, leur ferait leur procès. Sans doute on peut rêver et souvent moi-même je l’ai rêvé, j’en conviens, on peut rêver que les animaux et l’homme en particulier n’eussent pas été astreints à cette cruelle loi; mais, quand on étudie, il faut écarter des rêves et de vains souhaits, et envisager la nature dans sa réalité, quelque rigoureuse qu’elle soit. La comparaison est pleinement exacte : la sauvagerie est toujours en guerre; dès l’aurore de l’histoire, les pasteurs subjuguent l’Egypte, et Sésostris porte au loin ses armes. La seule question qui reste, c’est de savoir si les Romains, dans cet exercice inévitable des impulsions primitives, se sont, plus que les autres peuples, souillés de sang et de crimes. Eh bien ! on peut affirmer que s’ils ne le furent pas moins, ils ne le furent pas plus. Ce fut un grand progrès quand la guerre, de purement destructive, devint conquérante et forma des empires, et quand de conquérante elle devint civilisatrice, ce qui arriva quand elle fut portée par les Grecs et les Romains dans les contrées barbares. Les Romains eurent conscience de leur rôle alors qu’ils disaient par la bouche de Virgile :

Tu regere imperio populos. Romane, memento,


et qu’ils célébraient par celle de Pline, dans une phrase encore plus décisive, l’immense majesté de la paix romaine.

Ce portrait de la gent latine est aussi, on le comprend, celui des Italiens, et, selon M. O’Connell, si les Romains revenaient sur le