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théâtre du monde, ils n’y auraient pas un autre rôle que celui que l’Italie y joue, aujourd’hui que d’autres races, douées de qualités supérieures, ont pris leur place et leur fonction : à quoi j’objecte aussitôt que cette assimilation ne peut être complète, car elle cloche en un point essentiel. — Tandis que les Romains n’ont, comme il est reconnu, qu’un rang tout à fait subordonné dans les sciences, l’Italie a noblement payé sa quote-part dans le tribut apporté en commun par les nations européennes, et tandis que Rome, belle dans le premier des arts, la poésie, est nulle dans le reste, l’Italie, qui n’a pas pour cela déchu dans la gloire des grandes compositions poétiques, est reine par la musique et par la peinture. — Je ne suis pas de ceux qui pensent que l’Italie moderne soit en décadence par rapport à l’Italie ancienne : ce qu’on peut appeler sa déchéance politique ne date que du XVIe siècle, est comparable à celle qui ne tarda pas à frapper aussi l’Espagne, et dépend au fond d’une cause identique, l’oppression ecclésiastique compliquée ici de la domination étrangère; mais à ceux qui l’admettent M. O’Connell demande, en raillant, comment ils peuvent l’expliquer, eux qui prétendent que le sang germanique fut un sang régénérateur pour les nations abâtardies de l’empire latin, et qui savent qu’une portion de ce noble sang fut infusée dans l’Italie par la conquête ostrogothe et lombarde. Quant à moi, je l’ai plusieurs fois soutenu et je prends occasion de le répéter, je regarde l’invasion des Germains comme ayant non pas accéléré, mais retardé l’évolution de l’Occident, en mêlant des races moins civilisées à des races plus civilisées, en créant ainsi un terme moyen et inférieur; toutefois je pense, et en ceci je vais contre l’opinion de M. O’Connell, qu’une invasion celtique n’aurait pas produit un moindre dommage. Seulement Germains ou Celtes, une fois implantés, devenaient d’excellens élémens, et ce n’était qu’un retard.

Iago appartient à ce type latin ou italien tel que le décrit M. O’Connell, ou, pour parler tout à fait comme lui, c’est un personnage qui, trouvé dans l’ancien récit, est devenu, grâce au génie de Shakspeare, un portrait de la race italienne : personnage méchant ou honnête, il n’importe, je l’ai déjà dit, mais dans l’un et l’autre cas personnage enfermé dans un certain ordre de pensées, de mobiles, de combinaisons d’où le poète ne l’a jamais fait sortir. Iago est le véritable héros de la tragédie : cela, pressenti bien des fois, est remis en lumière par M. O’Connell, qui veut du moins que cette primauté ne soit pas ôtée à un peuple glorieux, infortuné, et qui a rendu des services ; je rapporte ses expressions afin d’écarter l’odieux que suscite au premier abord une telle comparaison. Si je ne pense pas ce que pense M. O’Connell, qu’il y ait dans les traits qui peuvent