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attirait bien des lévites que la grâce n’avait pas touchés. Le saint-siège était l’objet des compétitions ardentes que ne suscitait plus la pourpre des césars. Etrange contraste : tandis qu’on voyait le trône, faute de candidats, rester vacant pendant plus d’une année, les prétendans au pontificat étaient quelquefois assez nombreux pour en venir aux mains et ensanglanter le forum ecclésiastique. C’est ce qui était arrivé en 366, à l’élection du pape Damase Ier; la basilique consacrée pour le vote devint le théâtre d’une lutte sacrilège où cent trente-sept champions trouvèrent la mort. Ces scandales, si on y ajoute les subtilités, les chicanes, les disputes sans fin des sophistes, montrent assez quel avantage ce fut pour l’église, quelques années après, d’être violemment séparée de l’ancien monde. La chute de l’empire, la disparition des vieilles mœurs, l’établissement des royaumes barbares sont peut-être les plus grands bienfaits qu’elle pût recevoir de la Providence. A sa décrépitude précoce succéda tout à coup la jeunesse la plus énergique. Affranchie de ses liens avec l’empire, elle ne vécut plus que de l’âme de l’Évangile, et l’on vit naître la société chrétienne.

Le Ve siècle eut une image anticipée de cette régénération qui attendait l’église. Dans une province située au nord-est de l’Italie, entre les Alpes et le Danube, vivait au milieu des Barbares un saint anachorète nommé Séverin, qui fut le premier héros des temps modernes, je dis le premier en date et l’un des premiers par le cœur et le génie. Quand on lit son histoire racontée par un témoin digne de foi, on croit assister déjà aux plus grandes scènes de l’apostolat religieux dans les commencemens du moyen âge. Les saint Colomban, les saint Boniface, ces conquérans des races germaniques, ces fondateurs du monde moderne, semblent annoncés d’avance par l’intrépide apôtre du Norique, leur prédécesseur et leur modèle. Rien chez lui qui rappelle l’esprit du passé, aucune trace des mœurs, des habitudes, des pensées de la société antique, aucun lien avec l’empire, avec cette administration romaine qui enveloppait tout, aucun lien même avec l’église officielle. D’où venait-il? On ne l’a jamais su. Lorsque ses disciples l’interrogeaient sur ce point, il détournait les questions en souriant. Selon les conjectures les plus probables, il avait longtemps habité l’Orient et vécu dans la méditation des livres saints avant de se consacrer au service de l’humanité. Et qu’importe sa patrie terrestre? Le foyer de ses pensées, c’était l’âme divine de l’Evangile. Tandis que la doctrine du Christ, adoptée par tant d’imaginations encore païennes, subissait l’influence de ce contact; tandis que, malgré les enseignemens des pères de l’église, elle se hérissait de difficultés, s’embarrassait d’hérésies, se compliquait de subtilités alexandrines, Séverin, au milieu des Barbares, en re-