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trouvait la pureté première et l’admirable simplicité pratique. inspiré de la parole de Dieu et libre de toute tradition romaine, l’anachorète, devenu pasteur de peuples, apparaît au pied des Alpes, entre l’Italie et le monde germain, comme le précurseur d’une nouvelle époque; c’est le premier des grands moines d’Occident.

Le plus sûr moyen de reproduire la grandeur originale de saint Séverin, c’était de retrouver la place qu’il occupe dans l’histoire générale du Ve siècle. Il ne suffisait pas de peindre à grands traits sa charité, son courage, les ressources multiples de son génie, l’infatigable activité de son dévouement; il fallait montrer que son rôle était lié aux plus grands événemens, aux catastrophes les plus tragiques, et que le tableau de cette période était nécessairement inexact, si la vie et la mort de saint Séverin n’en remplissaient pas la moitié. Il y a eu de nos jours, parmi les historiens qui ont touché à cette époque, une sorte d’émulation généreuses au sujet de saint Séverin; c’était à qui rendrait meilleure justice à sa mémoire. Celui-ci tenait à honneur d’avoir devancé ses confrères, celui-là exprimait son regret d’être arrivé trop tard. Je me rappelle un article où M. Saint-Marc Girardin, rendant compte de l’ouvrage de M. Ozanam, la Civilisation chrétienne chez les Francs, revendiquait cette bonne fortune d’avoir parlé longuement de l’apôtre du Norique, il y a vingt ou vingt-cinq ans, dans ses leçons de la faculté des lettres. M. de Montalembert, dans ses Moines d’Occident, se plaint que son savant ami Ozanam se soit approprié tous les trésors de cette biographie merveilleuse, laissant à peine de quoi glaner à ceux qui viendront après lui. La figure de ce héros si profondément humain est en effet une de celles qui devaient inspirer le plus de sympathies à l’école historique française du XIXe siècle, c’est-à-dire au spiritualisme chrétien et libéral. Sans doute il ne faut pas dire avec l’auteur des Moines d’Occident que la vie de saint Séverin, écrite au Ve siècle par son disciple Eugippius, a été remise en lumière de nos jours par M. Ozanam; Bolland, Tillemont, Gibbon lui-même en ont parlé avant nous. Gibbon, qui n’était pas homme à en tirer grand parti, reconnaît cependant qu’elle contient des renseignemens très précieux pour l’histoire. Non, ce n’est pas notre siècle qui a découvert cette biographie, qui l’a remise en lumière et en a signalé l’importance; mais nulle époque, on peut l’affirmer, n’était mieux préparée que celle-ci à aimer, à reproduire la sainte et originale grandeur du vieil apôtre. Notre philosophie de l’histoire, notre sentiment de l’humanité, l’intelligence que nous avons acquise des périodes primitives, tout nous disposait à cette tâche, et comme saint Séverin est une physionomie véritablement extraordinaire au milieu de la dégradation romaine, ceux qui ont essayé de la décrire devaient