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visions des églises, nous tous, catholiques ou protestans, qui mettons le christianisme bien au-dessus des formules particulières, nous ne rencontrons pas dans la vie du saint un seul acte, une seule parole qui arrête cette aspiration de nos âmes : l’héroïque missionnaire du Ve siècle semble réaliser l’idéal du XIXe.

Séverin avait une trentaine d’années lorsque, sortant de quelque désert où il avait vécu de contemplation et d’extase, il arriva, poussé par Dieu et impatient de se consacrer aux hommes, dans l’une des plus sauvages contrées de la Pannonie. Ce n’était encore qu’un pauvre mendiant, et déjà cependant il parlait avec l’autorité d’un missionnaire d’en haut. Homme d’état sous ses haillons, il vit du premier regard les deux plaies mortelles du vieux monde, la corruption et l’égoïsme; il prêchait donc la pénitence qui régénère les hommes, et la charité qui les rapproche. Combattre la dépravation morale, arrêter le morcellement de la société, c’était pour lui le point de départ de la reconstruction du monde. Il commença son œuvre dans une ville romaine; Sa parole était rude et tendre à la fois, comme sa doctrine était profonde et simple. Dans ses invectives contre la dissolution des mœurs, il s’adressait au clergé aussi hardiment qu’aux laïques; il adjurait les évêques de donner l’exemple à leurs troupeaux, il rappelait les prêtres à l’imitation de Jésus-Christ, et cette liberté sainte lui attira d’abord tant d’outrages qu’il dut quitter la première ville où s’exerça son ministère. A ses ardentes clameurs : « Réformez-vous, j’aperçois les Barbares à vos portes, » prêtres et laïques avaient répondu par des moqueries. Il partit; peu de temps après, la ville, surprise au milieu de quelque orgie, était saccagée par des hordes germaines. La seconde cité où il recommence l’exécution de ses projets l’accueillit comme un envoyé de Dieu, et bientôt sa sagesse, son dévouement, sa connaissance des hommes et des affaires, sa merveilleuse sagacité, regardée comme un don de prophétie, les services de tout genre qu’il rendait aux particuliers ou à la province, lui assurèrent dans tout le Norique une autorité sans égale. De toutes parts on venait lui dire : Sauvez-nous! Le mécanisme de la centralisation impériale étant brisé en mille endroits par les incursions des Barbares, il y avait çà et là des tronçons de peuples qui s’agitaient dans le sang. Habitués à recevoir de Rome leur existence artificielle, ces malheureux ne savaient plus vivre, et l’anarchie était partout. Que faire? On venait chercher saint Séverin, on lui remettait le commandement, on le chargeait de faire des lois, d’instituer des coutumes, de créer des peuples nouveaux avec les débris de l’ancien monde. Entre tant de villes qui se disputaient l’honneur de le posséder, il choisit Eavianes, bien située sur les bords du Danube, au centre septentrional du Norique, d’où